Dernière Terre (recueil)/On ne vaincra jamais

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Andrée Vernay Dernière Terre

On ne vaincra jamais


    On ne vaincra jamais la critique. Donner
une vie, c'est donner en même temps une proie à ceux
qui n'ont aucune vie à communiquer.
    Mais remonter depuis l'ombre jusqu'à la lumière... et
jusqu'au jour de cette nuit...
    Il y a ceux qui soufflent sur les flammes naissantes, les
ouvriers de la démolition.
    On sait bien ce que c'est que de s'étirer et de s'épuiser
au fond de son néant initial. Plus que l'analyse... et plus
rien des trouvailles, des illuminations. Le retour, le ren-
versement, la répétition, le fait de tout reprendre depuis
le commencement ou depuis moins longtemps, et de
jouir de soi, rétrospectivement.
    Passé qui enlise, tragique paresse du regard en arrière.
    Oh ! dépasser cela... retrouver un cri nouveau pour
l'avenir...
    Un chant éternel de présent éternel... un cri pour la vie
et sa soif future...
    Pas une entr'ouverture. Une faille béante, attentive...
    Je t'attends hymne des jours à venir, je t'attends pléni-
tude de l'oublie...
    Non pas l'oubli qui est l'effacement, mais l'oubli qui
est transposition et transfiguration... un recommencement
plus neuf que le commencement...
    Celui qui s'est ajouté la volonté enière et comprend
la valeur surimportante de se préserver des plus usés de
l'âme vieillie.
    La part morte de l'âme est mort totale. Chaque parcelle
est le tout. Chaque parcelle entraînée entraîne le
tout.
    Indivisible magnifique et dangereuse.
    Le chant de ce parfum que je n'ai su prévoir et qui me
montre en un instant ce qu'il y a de perdu, ce que j'ai
laissé s'enfouir sous le temps.
    Mais suis-je responsable ?... j'avais la volonté de tout
retenir... je voulais me tenir debout.
    Pardon si je n'ai su... pardon puisque je veux encore
refuser les évocations qui suffiraient à mes jours.
    Ah ! que je désire encore d'autres lumières que cette
douce veilleuse de mes souvenirs !...
    Et que je désire la volonté de désirer !...
    Que j'ai le désir d'avoir soif ! Que j'ai soif de désirer
demander à boire !...
    Je me débats pour ne pas reconnaître que tout est bien,
je refuse le contentement...
    D'autres m'ont dit qu'il ne fallait pas me contenter...
    Si pourtant j'avais déjà trouvé non pas "la joie",
mais cette "part de joie" qui est mienne... Si pourtant
le sourire de ma vie était dans une douceur qui sait
naître de la plus modeste des secondes.
   Il y aura toujours les choses autour de moi, il y aura
toujours le ciel et la terre... les matins et les soirs... et les
heures du milieu... il y aura toujours les chemins de la
terre, le chant des surfaces et les entrevisions des profondeurs,
à la surface. Il y aura l'aumône géante des entrailles
faisant œuvre compensatrice pour la vie... et
l'aumône non moins précieuse de la matière constante...
    Grande sérénité qui survole les disparitions, les transformations !
et toutes les figures de cette transformation plus saisissante
que toutes les autres, que notre ignorance appelle "la mort"
    Je me sens en paix sous le regard aveugle de ses yeux,
et devant son témoignage de la force.
    Ma fragilité suspendue à sa masse constante, cramponnée
à sa volonté indifférente...
    Elle ne prend pas en traitre
    Mais bien sûr que je sais ; il est trop facile de savoir
pour que j'aie pu passer au travers de la connaissance.
    Il y a cette quiétude de ne pas penser constamment à
la clôture du drame, et celle, non pas d'espérer... mais
d'oublier de désespérer.