Orgueil et Préjugé (Paschoud)/3/2

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Traduction par anonyme.
J. J. Paschoud (3p. 15-24).

CHAPITRE II.

Les deux cousins partirent le lendemain de Rosing ; Mr. Collins ayant été les attendre sur le chemin pour leur faire ses dernières salutations, revint chez lui, assurant qu’ils paroissoient être en très-bonne santé et en aussi bonne disposition d’esprit qu’on pouvoit l’espérer après la triste scène d’adieux qui devoit avoir eu lieu au moment de quitter Rosing. Il se hâta d’aller au château pour consoler Lady Catherine et sa fille, et il en rapporta, à sa grande satisfaction, un message de sa Seigneurie qui se sentoit si maussade qu’elle désiroit que tous les habitans du Presbytère vinssent dîner avec elle.

En revoyant Lady Catherine, Elisabeth pensa que si elle avoit accepté la main de Mr. Darcy, elle lui auroit été présentée probablement ce même jour comme sa future nièce, et elle sourit à l’idée de l’indignation qu’auroit éprouvé sa Seigneurie. Qu’auroit-elle dit ? comment se seroit-elle conduite ? étoient autant de questions qui amusoient intérieurement Elisabeth.

La diminution de la société de Rosing fut le premier sujet de la conversation. Personne, disoit Lady Catherine, ne sent plus vivement que moi l’absence de ses amis ; je suis surtout fort attachée à ces deux jeunes gens, et je sais qu’ils ont pour moi tout le respect et l’affection possibles ; ils étoient extrêmement affligés, comme ils le sont toujours, de nous quitter. Le cher colonel s’est efforcé de conserver sa gaieté jusqu’au bout, mais Darcy sembloit encore plus vivement affligé que l’année dernière ; son affection pour Rosing augmente, je crois, chaque jour.

Mr. Collins eut tout de suite un compliment et une délicate allusion à faire là-dessus, qui firent sourire avec bonté la mère et la fille.

Lady Catherine fit, après le dîner, l’observation que Miss Bennet n’étoit pas si gaie qu’à l’ordinaire ; elle en attribua la cause à la perspective de retourner bientôt chez elle, et elle ajouta ; — Si c’est ainsi, vous devriez écrire à votre mère pour demander la permission de rester ici un peu plus long-temps, je suis sûre, que Mistriss Collins seroit charmée de vous conserver encore.

— Je remercie beaucoup votre Seigneurie de son obligeante invitation, dit Elisabeth, mais je ne puis l’accepter ; je dois être à la ville samedi prochain.

— Pourquoi donc ? Vous n’auriez alors passé que six semaines ici ; je pensois que vous resteriez deux mois ; je l’avois dit à Mr. Collins avant votre arrivée. Il n’y a pas de raisons pour que vous vous en alliez si vîte. Mistriss Bennet se passera bien encore de vous pendant une quinzaine de jours.

— Mais mon père ne le peut pas ; il m’a écrit la semaine dernière de retourner auprès de lui le plutôt que je le pourrai.

— Oh ! si votre mère peut se passer de vous, votre père le pourra bien aussi. Les filles ne sont jamais absolument nécessaires à leurs pères ; si vous voulez rester encore un mois je pourrois mener l’une de vous à Londres, où je compte demeurer une semaine au commencement de juin ; comme Dawson n’a pas de répugnance à aller en calèche, il y aura une place pour une de vous, et en vérité si le temps n’étoit pas trop chaud, je pourrois bien vous prendre toutes les deux ; vous n’êtes pas bien grosses ni l’une, ni l’autre.

— Vous avez bien de la bonté, Madame, mais je crois que nous devons nous en tenir à notre premier plan.

Lady Catherine parut alors en prendre son parti.

— Mistriss Collins, vous devriez les faire accompagner par un domestique. Vous savez que je dis toujours ce que je pense ; je ne puis supporter que deux jeunes personnes voyagent toutes seules en poste ; c’est fort peu convenable ; j’ai la plus grande aversion pour ces choses-là. Les jeunes femmes doivent toujours être accompagnées et surveillées autant que le permet le rang qu’elles occupent dans le monde. Lorsque ma nièce Georgina alla à Ramsgate, l’année dernière, j’insistois pour qu’elle fût accompagnée par deux domestiques hommes. Miss Darcy, fille de Mr. Darcy de Pemberley et de Lady Anne, n’auroit pas paru convenablement d’une autre manière. Je le répète, je suis très-attentive à ces choses-là. Vous devriez envoyer John avec ces jeunes personnes, Mistriss Collins. Je suis bien aise d’avoir eu l’occasion d’en parler, car réellement vous auriez tort de les laisser partir seules.

— Mon oncle doit nous envoyer un domestique, dit Elisabeth.

— Ah ! votre oncle ! Il a un domestique homme ? Je suis bien aise que vous ayez quelqu’un qui pense à ces choses-là. Où changerez-vous de chevaux ? à Bomley sans doute. Si vous prononcez mon nom à la poste, vous serez vite servies.

Lady Catherine eut encore beaucoup de questions à faire sur leur voyage, mais comme elle y répondoit elle-même, il n’étoit pas nécessaire de lui prêter une attention bien soutenue ; c’étoit fort heureux pour Elisabeth, qui avoit l’esprit si préoccupé, qu’elle auroit pu ne pas répondre toujours parfaitement juste. Il faut garder ses réflexions pour la solitude, aussi s’y abandonnoit-elle entièrement lorsqu’elle étoit seule, et il n’y avoit presque pas de jour où elle ne fît quelque grande promenade, pendant laquelle elle se livroit à des souvenirs qui, au reste, étoient peu agréables. Elle savoit presque par cœur la lettre de Mr. Darcy, elle l’étudioit phrase par phrase, et ses sentimens pour celui qui l’avoit écrite n’étoient pas toujours les mêmes ; lorsqu’elle se rappeloit le style de sa déclaration, elle sentoit se réveiller toute son indignation ; mais lorsqu’elle réfléchissoit à son injustice envers lui, et à tous les reproches qu’elle lui avoit adressés, sa colère se tournoit contre elle-même ; l’attachement qu’il avoit pour elle lui inspiroit de la reconnoissance, et elle respectoit son caractère. Cependant elle ne l’aimoit pas, ne regrettoit pas un instant de l’avoir refusé et ne désiroit point le revoir. Elle trouvoit une source constante de chagrins dans la manière dont elle s’étoit conduite, et un sujet de peines encore plus grand dans les malheureux défauts de sa famille, qu’il n’y avoit point d’espérance de pouvoir corriger : son père ne faisoit qu’en rire, et n’employoit jamais son autorité pour réprimer l’étourderie de ses sœurs cadettes, et sa mère avoit si peu le sentiment des convenances, qu’elle ne pouvoit les reprendre. Catherine, avec un caractère foible et irritable, entièrement sous l’influence de Lydie, avoit toujours mal reçu les avis de ses deux sœurs aînées ; Lydie étoit si étourdie et si obstinée, qu’à peine les écoutoit-elle. Elles étoient toutes deux vaines, ignorantes et paresseuses ; tant qu’il y auroit un officier à Meryton, elles le rechercheroient, et tant que Meryton seroit près de Longbourn, elles iroient s’y promener.

L’inquiétude d’Elisabeth à l’égard de Jane étoit un autre tourment. L’explication de Mr. Darcy, en réhabilitant Mr. Bingley dans son opinion, lui faisoit encore mieux sentir tout ce que Jane avoit perdu. Son amour étoit sincère, et sa conduite justifiée, à moins qu’on ne voulût blâmer l’extrême confiance qu’il avoit en son ami. Combien n’étoit-il pas douloureux de penser que, par la folie et la sottise de sa propre famille, Jane avoit été privée d’une position si brillante à tous égards, et qui lui promettoit tant de bonheur !

La découverte du caractère de Wikam, se joignant à toutes ses réflexions, on peut aisément croire que sa gaieté en étoit fort altérée, et qu’il lui étoit même difficile de paroître sereine. Les engagemens à Rosing furent aussi fréquens pendant la dernière semaine de leur séjour à Hunsford, qu’ils l’avoient été durant les premiers temps. Ils y passèrent la soirée la veille de leur départ. Lady Catherine s’informa encore minutieusement des détails de leur voyage, leur donna des conseils sur la manière d’emballer leurs effets, et insista tellement sur les moyens de bien ployer les robes, que Maria, à son arrivée, se crut obligée de refaire entièrement sa malle qu’elle avoit déjà faite dans la matinée.

Lorsqu’elles prirent congé, Lady Catherine leur souhaita un bon voyage avec toute l’affabilité qui la caractérisoit, et les invita à revenir l’année prochaine à Hunsford ; et Miss de Bourgh alla jusqu’à tendre la main aux deux jeunes personnes.