Ornithologie du Canada, 1ère partie/Le Pinson chanteur — Le Rossignol du Canada

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Atelier typographique de J. T. Brousseau (p. 258-272).

LE PINSON CHANTEUR. — LE ROSSIGNOL DU CANADA.[1]
(Song Sparrow.)


« Avons-nous le Rossignol en Canada ? » Telle était la question que le Canadien nous adressait en avril dernier.

De graves historiens,[2] des naturalistes en crédit, les neuf dixièmes de la population du Bas-Canada y inclus la jeunesse entière des campagnes, très friande de Merles et de Rossignols, tous ont déjà répondu affirmativement à cette question. Ce sera donc bien à regret, que nous devrons nous inscrire en faux contre ce témoignage presqu’universel.

Qui doute que nous ne préférions pouvoir réclamer comme appartenant à la Faune canadienne, le barde ailé, qui fait la gloire de la France, de l’Italie et de l’Allemagne ?

Oh ! que nous aimerions à dire à nos jeunes amis, grands amateurs de jeunes Merles et de Rossignols : « Jeunes gens, conservez vos illusions, c’est le plus bel apanage de la jeunesse » ! Votre favori est bien un véritable Rossignol ! Mais la grande voix de la vérité s’est fait entendre : et il faut faire table rase des opinions de nos pères et de celles de nos compatriotes. On comprendra maintenant le but des longs extraits qui vont suivre : on verra la raison d’être de ce luxe de citations que l’on va lire, lesquelles, en d’autres occasions, quelqu’intéressantes qu’elles pussent être, paraîtraient prolixes et diffuses.

Il s’agit de déraciner, de pulvériser, une bien vieille, une bien respectable erreur.

Avant de nous enquérir si réellement nous avons parmi nous le roi du chant, voyons d’abord ce que c’est que le Rossignol d’Europe. Taille, six pouces deux lignes ; les parties supérieures sont d’un brun roux ; la gorge et le ventre blanchâtres ; la poitrine et les flancs cendrés ; la penne bâtarde est courte et étroite ; la première rémige est égale à la quatrième, ou plus longue. Ce qui fait surtout connaître cet oiseau, c’est la mélodieuse variété de son chant. L’Allemand Bechstein a cherché à écrire les paroles que prononce cet admirable chanteur : c’est à ceux qui ont entendu les accents de cette douce et plaintive Sapho des bois à décider du degré de ressemblance qui peut exister entre l’œuvre de Bechstein et le chant du Rossignol. Voici :

« Tioû, tioû, tioû, tioû, — Spe, tiou, squa — Tiô, tiô, tiô, tiô, tiô, tio, tio, tix — Coutio, coutio, coutio, coutio — Squô, squô, squô, squô — Tzu, tzu, tzu, tzu, tzu, tzu, tzu, tzu, tzu, tzi — Corror, tiou, squa, pipiqui — Zozozozozozozozozozozozo, zirrhading ! — Tsissisi, tsissisisisisisisis — Dzorre, dzorre, dzorre, dzorre, hi — Tzatu, tzatu, tzatu, tzatu, tzatu, tzatu, tzatu, dzi — Dlo, dlo, dlo, dlo, dlo, dlo, dlo, dlo, dlo — Quio, tr rrrrrrrr itz — Lu, lu, lu, lu, ly, ly, ly, ly, liê, liê, liê, lié, — Quio, didl li lulylie — Hagurr, gurr, quipio ! — Coui, coui, coui, coui, qui, qui, qui, gai, gui, gui, gui — Gall goll goll goll guia hadadoi — Couigui, horr, ha diadia dill si ! — Hezezezezezezezezezezezezezezezeze couar ho dze hoi — Quia, quia, quia, quia, quia, quia, quia, quia ti — Ki, ki, hi, ïo, ïo, ïo, ioioioio ki — Lu ly li le lai la leu lo, didl ïo quia — Kigaigaigaigaigaigaigai guiagaigaigai couior dzio dzio pi.

« Le Rossignol, dit Le Maout, est d’un naturel timide ; il voyage, arrive et part seul. C’est au commencement d’avril qu’il paraît en France ; il n’attend pas sa famille pour chanter, mais son chant redouble d’expression pendant la saison des œufs. Il place son nid dans un buisson, à une petite hauteur de terre, quelquefois même entre les racines ; il le construit avec des herbes, des feuilles de chêne, du crin. Ce nid, très profond et peu solide, contient quatre ou cinq œufs arrondis, d’un brun verdâtre, dont le grand axe est de huit lignes et demie, et le petit axe de six lignes. Il chante la nuit comme le jour, durant l’incubation, mais dès que les petits sont éclos, ce qui arrive à la fin de mai, sa voix s’altère, et devient une sorte de croassemment, rauque comme celui d’une Grenouille. Il nourrit ses petits de vermisseaux et de larves d’insectes, qu’il dégorge dans leur bec. Vers la fin de septembre, il émigre pour aller chercher dans l’Égypte, la Syrie et l’Asie, la nourriture animale qu’il ne trouve plus en France. » Ouvrons Buffon et dérobons-lui ou plutôt à son collaborateur Gueneau de Montbeillard, une de ses pages admirables. À part quelques exagérations qui font du Rossignol un artiste trop civilisé, et qui d’ailleurs prennent leur source dans un enthousiasme trop sévère, le chapitre du Rossignol est un morceau achevé. On est tenté de croire, dit Le Maout, que l’auteur avait une de ces Fauvettes chantant devant la fenêtre de son cabinet et qu’il s’enivrait en quelque sorte sous la dictée de l’oiseau, quand il énumère avec tant de bonheur les merveilleuses qualités de sa voix.

« Il n’est point, dit-il, d’homme bien organisé à qui ce nom ne rappelle quelqu’une de ces belles nuits de printemps, où, le ciel étant serein, l’air calme, toute la nature en silence, et, pour ainsi dire, attentive, il a écouté avec ravissement le ramage de ce chantre des forêts. On pourrait citer quelques autres oiseaux chanteurs dont la voix le dispute, à certains égards, à celle du rossignol : les alouettes, le serin, le pinson, les fauvettes, la linotte, le chardonneret, le merle commun, le merle solitaire, le moqueur d’Amérique, se font écouter avec plaisir, lorsque le rossignol se tait : les uns ont d’aussi beaux sons, les autres ont le timbre aussi pur et plus doux ; d’autres ont des tours de gosier aussi flatteurs ; mais il n’en est pas un seul que le rossignol n’efface par la réunion complète de ses talents divers, et par la prodigieuse variété de son ramage ; en sorte que la chanson de chacun de ces oiseaux, prise dans son étendue, n’est qu’un couplet de celle du rossignol.

« Le rossignol charme toujours, et ne se répète jamais, du moins jamais servilement ; s’il redit quelque passage, ce passage est animé d’un accent nouveau embelli par de nouveaux agréments ; il réussit dans tous les genres, il rend toutes les expressions, il saisit tous les caractères ; et de plus, il sait en augmenter l’effet par les contrastes. Ce coryphée du printemps se prépare-t-il à chanter l’hymne de la nature, il commence par un prélude timide, par des tons faibles, presqu’indécis, comme s’il voulait essayer son instrument et intéresser ceux qui l’écoutent ; mais ensuite prenant de l’assurance, il s’anime par degrés, il s’échauffe et bientôt il déploie dans leur plénitude toutes les ressources de son incomparable organe : coups de gosier éclatants ; batteries vives et légères ; fusée de chant, où la netteté est égale à la volubilité ; murmure intérieur et sourd qui n’est point appréciable à l’oreille, mais très propre à augmenter l’éclat des tons appréciables ; roulades précipitées, brillantes et rapides, articulées avec force, et même avec une dureté de bon goût ; accents plaintifs cadencés avec mollesse ; sons filés sans art, mais enflés avec âme ; sons enchanteurs et pénétrants, qui font palpiter tous les cœurs et qui causent à tout ce qui est sensible une émotion si douce, une langueur si touchante. C’est dans ces tons passionnés que l’on reconnaît le langage du sentiment qu’un époux heureux adresse à une compagne chérie, et qu’elle peut lui inspirer ; tandis que dans d’autres phrases plus étonnantes peut-être, mais moins expressives, on reconnaît le simple projet de l’amuser et de lui plaire, ou bien de disputer devant elle le prix du chant à des rivaux jaloux de sa gloire et de son bonheur.

« Ces différentes phrases sont entremêlées de silences, de ces silences qui, dans tout genre de mélodie, concourent si puissamment aux grands effets. On jouit des beaux sons que l’on vient d’entendre, et qui retentissent encore dans l’oreille : on jouit mieux parce que la jouissance est plus intime, plus recueillie, et n’est point troublée par des sensations nouvelles : bientôt on attend, on désire une autre reprise ; on espère que ce sera celle qui plaît ; si l’on est trompé, la beauté du morceau que l’on entend ne permet pas de regretter celui qui n’est que différé, et l’on conserve l’intérêt de l’espérance pour les reprises qui suivront. Au reste, une des raisons pourquoi le chant du rossignol est plus remarqué et produit plus d’effet, c’est parce que, chantant seul, sa voix a tout son éclat, et n’est offusquée par aucune autre voix ; il efface tous les autres oiseaux par ses sons moelleux et flûtés, et par la durée non interrompue de son ramage, qu’il soutient quelquefois pendant vingt secondes. »

Voyons maintenant comment Toussenel fait l’apothéose de l’oiseau que Buffon vient de décrire.

« Le Rossignol n’a pas à se plaindre comme le Rouge-Gorge et le Bec-figues que la Poésie et l’Histoire aient été ingrates à ses mérites. On l’a chanté dans toutes les langues des pays qu’il habite. On a écrit sur lui cent traités spéciaux. Toutes les littératures du Midi, de l’Orient, de l’Occident et du Nord retentissent de ses apologies. Je ne sache pas de grand poëte, à commencer par Euripide et par Virgile chez les anciens, et à finir par Lamartine chez les modernes qui ne se soit cru obligé de lui consacrer une strophe mélodieuse. Pour tous les écrivains inspirés, sacrés comme profanes, Philomèle est la personnification de l’éloquence suprême.

« Euripide, pour donner une idée du charme de la parole d’Ulysse, la compare au chant du Rossignol. Saint Grégoire de Nazianze retrouve dans les écrits de l’école d’Athènes le style harmonieux et sonore du prince des chanteurs ailés. Les farouches sectateurs de Luther reconnaissent la mission divine de PHILippe MELanchton et la supériorité de son éloquence sans seconde, à ce que les deux syllabes initiales de ses noms reproduisent le nom de Philomèle.

« Or, comme il est dans les dons de l’analogie passionnelle d’inspirer heureusement les esprits, il est constamment advenu que le succès a couronné l’allégorie et la comparaison tirées du Rossignol. Ainsi aucune muse n’a probablement modulé dans aucune autre langue de plus mélancoliques et de plus tendres accents que la muse de Virgile comparant la douleur d’Orphée qui regrette Eurydice, à celle de Philomèle qui pleure ses petits : Qualis populeâ mœrens… L’inspiration d’amour qui parfume le texte latin est si pénétrante et si vive qu’il en est passé quelques émanations subtiles jusque dans la traduction de Delille :

Telle, sur un rameau, durant la nuit obscure,
Philomèle plaintive attendrit la nature,
Accuse en gémissant l’oiseleur inhumain,
Qui, glissant dans son nid une furtive main,
Ravit les tendres fruits que l’amour fit éclore
Et qu’un léger duvet ne couvrait pas encore.

« Le chantre des Harmonies, dont la harpe aussi mélodieuse que celle de Virgile, vibre bien plus puissamment sous la touche d’amour, Lamartine se surpasse lui-même dans la peinture du chant du Rossignol. Relisez Jocelyn, une histoire touchante qui retrouve toujours le chemin de vos larmes, l’histoire de deux pauvres enfants perdus dans un désert de glace et qui s’aiment et s’ignorent sous le regard de Dieu. Ouvrez le livre à cette page orageuse de la matinée de mai, où l’haleine fiévreuse du printemps verse au cœur des innocents des troubles inconnus, où le besoin d’aimer fait explosion dans la poitrine de Laurence qui cherche en son extase… Une langue de feu — pour crier de bonheur vers la nature et Dieu. Écoutez, écoutez :

LAURENCE

Vois dans son nid la muette femelle
Du Rossignol qui couve ses doux œufs,
Comme l’amour lui fait enfler son aile
Pour que le froid ne tombe pas sur eux.

Son cou, que dresse un peu d’inquiétude,
Surmonte seul la conque où dort son fruit,
Et son bel œil éteint de lassitude,
Clos du sommeil, se rouvre au moindre bruit.

Pour ses petits son souci la consume ;
Son blond duvet à ma voix a frémi :
On voit son cœur palpiter sous sa plume
Et le nid tremble à son souffle endormi.

À ce doux soin quelle force l’enchaîne ?
Ah ! c’est le chant du mâle dans les bois,
Qui, suspendu sur la cime du chêne,
Fait ruisseler les ondes de sa voix !

Oh ! l’entends-tu distiller goutte à goutte
Ses lents soupirs après ses vifs transports,
Puis de son arbre étourdissant la voûte
Faire écumer ses cascades d’accords ?

Un cœur aussi dans ses notes palpite !
L’âme s’y mêle à l’ivresse des sens,
Il lance au ciel l’hymne qui bat si vite,
Ou d’une larme il mouille ses accents !

À ce rameau qui l’attache lui-même ?
Et qui le fait s’épuiser de langueur ?

C’est que sa voix vibre dans ce qu’il aime
Et que son chant y tombe dans un cœur !

De ses accents sa femelle ravie
Veille attentive en oubliant le jour ;
Le printemps fuit, l’œuf éclos et sa vie
N’est que printemps, que musique et qu’amour !

Dieu de bonheur ! que cette vie est belle !
Ah ! dans mon sein je me sens aujourd’hui
Assez d’amour pour reposer comme elle
Et de transports pour chanter comme lui.

« N’est-ce pas que jamais la passion n’a parlé par une bouche humaine un langage plus sublime et plus incendiaire, et que l’infortunée Didon est bien pâle auprès de Laurence, et même Roméo qui veut trop tôt s’en aller ! N’est-ce pas que le pauvre historien des bêtes qui a commis l’imprudence d’illustrer son récit de tels vers, est tenu de demander pardon à ses lecteurs d’oser encore leur servir sa vile prose après !

« Aucune gloire, aucune chance heureuse n’a donc manqué au Rossignol. Comme il a des panégyristes qui s’appellent Virgile, Ovide, Lamartine, il a des historiens nommés Pline, Buffon, etc., etc. Jean-Jacques déclare en ses Confessions, qu’il n’a jamais entendu le chant du Rossignol sans être vivement ému. Le naturaliste latin savait les mœurs de l’oiseau, il y a dix-sept siècles, comme nous les savons aujourd’hui ; mais la mythologie grecque a erré sur son compte.

« La tradition mythologique s’est trompée, pour avoir fait de Philomèle le type d’une princesse athénienne célèbre par sa beauté, à qui son beau-frère aurait infligé un outrage et puis coupé la langue pour l’empêcher de divulguer son crime. Ce signalement de princesse de sang royal, belle et muette, ne reproduit aucunement les traits du Rossignol, qui n’est ni beau ni muet, et qui d’ailleurs serait parfaitement incapable d’égorger un neveu pour le faire manger à son père, comme le fit, dit l’histoire, la princesse outragée. D’où je crains fort que ceux qui ont cru d’après la fable que la romance du Rossignol était une complainte sur les malheurs de Philomèle et sur la perversité de Térée, n’aient été dupes de leur crédulité. La romance ou plutôt le nocturne du Rossignol n’est pas une complainte, mais bien une élégie amoureuse écrite pour une voix seule par un maëstro passionné. Et la passion brûlante qui respire en ce poëme et empêche de dormir l’infortuné inamorato, est la double jalousie de l’art et de l’amour.

« Le Rossignol, en effet, ne chante pas seulement pour attendrir le cœur de sa maîtresse et charmer ses ennuis ; il chante aussi et surtout pour qu’on l’admire et pour qu’on l’applaudisse ; il chante pour faire taire ses rivaux, pour les écraser sous le poids de sa supériorité, pour les tenir à distance du canton qu’il s’est adjugé. S’il n’atteint pas ce dernier but par la force de ses poumons, il a recours au combat ordinaire, au combat corps à corps ; car il faut d’une manière ou de l’autre qu’on lui fasse place nette. S’il est vaincu dans cette nouvelle rencontre, il s’expatrie comme le Pinson et va bien loin cacher sa honte. Beaucoup meurent sur le terrain du dépit de la défaite et des blessures reçues. On ne comprend pas à première vue, qu’une épée aussi offensive qu’un bec de Rossignol ou de Rouge-Gorge puisse donner la mort, mais le fait se reproduit si fréquemment qu’il n’est pas même contestable. L’habitude des duels à outrance se retrouve jusque chez les Fauvettes proprement dites, qui ont l’esprit moins batailleur que les Rossignols, et chez les Roitelets qui ont le bec encore plus mou et encore plus inoffensif que les Fauvettes.

« La quinzaine qui suit l’arrivée des Rossignols parmi nous est l’époque habituelle de ces joutes terribles. Les mâles dans ces espèces précèdent les femelles d’une semaine ou deux, afin d’avoir terminé leurs querelles pour le jour où celles-ci arrivent, et pour être en mesure d’offrir un établissement convenable aux belles voyageuses en quête de maris. Ainsi procèdent les Ortolans et quelques milliers d’autres. Cette précession des mâles dont la cause était demeurée jusqu’ici un mystère pour la science, n’intriguera plus personne désormais.

« L’avenir des Rossignols dépendant du triomphe obtenu dans ces concours de musique vocale, on conçoit toute l’importance que les pères de famille et les enfants mâles de cette espèce attachent à l’étude du chant. Il n’y a peut-être pas un seul département de France où l’ardeur immodérée qu’apportent à cette étude les jeunes Rossignols, ne fasse chaque année des victimes. Ainsi dans nos colléges, des centaines de malheureux enfants s’abrutissent l’intelligence en des travaux ingrats pour acquérir le titre glorieux d’élève de l’École Polytechnique, et paient quelquefois de leur santé ou de leur vie cette noble ambition.

« Il résulte de cette tension perpétuelle de l’esprit des Rossignols vers le progrès et la perfectibilité, que quelques-uns des mieux doués acquièrent des talents supérieurs qui leur assurent leur monopole des honneurs et des places. Heureux sont les fils de tels pères, car ceux-ci naturellement jaloux de perpétuer l’illustration de leur nom et de faire souche de virtuoses, se font un plaisir et un devoir de pousser leurs héritiers dans la voie du succès, en les initiant à tous les secrets de la méthode et à toutes les rubriques du métier. De là l’illustration séculaire de telles ou telles familles de tel ou tel canton, de la famille des Rossignols de Romanville, par exemple, ou de celle des fauvettes à tête noire d’Auteuil. Mais de même qu’il est pour les Rossignols des contrées privilégiées où semble s’être réfugié l’atticisme du beau langage, il est des Béoties par contre où fleurit le patois et dont les malheureux indigènes n’émettent pas une note qui ne devienne aussitôt le texte de mauvais quolibets. Les Fauvettes du bel air sont peut-être plus impitoyables encore pour le purisme de la phrase que les jolies parleuses des salons de Paris.

« Bechstein, naturaliste allemand, qui a fait sur l’histoire des Fauvettes de profondes études, va jusqu’à affirmer que le chant nocturne est un privilége aristocratique, appartenant à certaines familles de Rossignols, mais non à toutes, et se transmettant par le sang. Le chant d’un Rossignol parfait renferme habituellement vingt-quatre strophes, sans compter les ornements et les fioritures dont l’artiste brode ses finales. On a calculé aussi que la portée de la voix du Rossignol égalait celle de la voix de l’homme et s’entendait de plus d’un kilomètre. »

Malgré le témoignage de Charlevoix, de Leclerc et autres, nous pouvons affirmer sur l’autorité de Vieillot, Audubon, Wilson, Baird, que le Canada ne peut réclamer l’Orphée du vieux monde :

Il y a dans Vieillot, un passage assez curieux et que nous croyons peu connu.

« On ne doit pas s’étonner, s’écrie-t-il, si les Européens qui habitent l’Amérique, ont donné le nom de Rossignol à la plupart des oiseaux de cette partie du monde, remarquables par un gosier éclatant, et particulièrement au Troglodyte ædon, puisque la plupart des personnes qui connaissent le ramage du Coryphée de nos bois, se font une idée fausse de sa taille et de son plumage. Les uns le supposent gros et grand d’après la force et l’étendue de sa voix ; d’autres croient qu’il est paré de brillantes couleurs, et beaucoup ne peuvent se persuader que ce soit un petit oiseau revêtu d’un vêtement très-modeste. Mais notre Rossignol se trouve-t-il réellement sur le nouveau continent ? On le croira, si l’on s’en rapporte à Lepage Dupratz[3] qui fait mention d’un Rossignol qu’on rencontre à la Louisiane ; à Charlevoix, qui désigne sous le même nom un oiseau du Canada, mais qui n’a que la moitié du chant du Rossignol d’Europe ; au père Leclerc, qui l’a vu dans la Gaspésie ; enfin à un médecin de Québec, qui a mandé à Salerne que notre Rossignol se trouvait au Canada comme en France, dans la saison.

« Ces historiens ou voyageurs n’auraient-ils pas confondu notre Rossignol avec d’autres oiseaux, d’après quelques analogies dans le chant ? C’est de quoi mes recherches ne me permettent nullement de douter, ainsi que je le prouverai ci-après. Cependant Gueneau de Montbeillard dit qu’il est probable que le Rossignol habite aujourd’hui l’Amérique septentrionale, et que trouvant le climat peu favorable soit à cause des grands froids, soit à cause de l’humidité, ou du défaut de nourriture, il chante moins bien au nord de cette partie du monde qu’en Asie et en Europe. En supposant que cette transplantation ait eu lieu de la manière qu’il indique et qui me paraît presqu’impossible, le Rossignol se montrerait dans le nouveau continent tel qu’il est sur l’ancien, puisque les causes prétendues de dégénération n’existant pas dans la saison où les voyageurs cités ci-dessus ont cru le reconnaître, elles n’auraient pas nui à sa voix. Elles ont lieu, il est vrai, mais alors les oiseaux à la fin de l’Amérique septentrionale se trouvent sous la zone torride, et certainement le Rossignol, qui est de leur classe, agirait comme eux, s’il habitait le Canada, et ainsi qu’il le fait lui-même dans le nord de l’Europe ; il irait donc passer l’hiver dans les régions méridionales, où l’appellerait la pâture dont à cette époque il serait frustré dans son pays natal, et n’y reviendrait qu’au moment où ces causes cessent. La nourriture ne lui manquerait pas alors plus que dans nos contrées, car les insectes y sont au moins aussi nombreux et assez petits pour que des oiseaux entomophages dont le bec est moins fort et moins bien orné que le sien, puissent en faire leur proie et en nourrir leur jeune famille. De plus, la température du Canada, bien loin d’être froide et humide dans la saison où il l’habiterait, y est saine et chaude. Le collaborateur de Buffon ajoute, pour appuyer sa conjecture, que l’on sait d’ailleurs que le climat de l’Amérique et surtout du Canada n’est rien moins que favorable au chant des oiseaux ; c’est ce qu’aura éprouvé, selon lui, notre Rossignol transplanté à la Nouvelle-France. Cette assertion n’est nullement fondée pour le nord de l’Amérique, puisqu’il y a au moins autant d’oiseaux chanteurs qu’en Europe, et que leur ramage, bien loin d’être inférieur, est aussi varié, aussi sonore et aussi mélodieux ; il faut néanmoins convenir que le Rossignol n’y a point d’émule ; mais nos Grues, nos Bruants, nos Fauvettes, nos Pinsons y trouveraient des concurrens dignes d’eux et même plusieurs y rencontreraient des maîtres.

« Quoique le nom du Rossignol ait été donné à quelques oiseaux de cette partie du monde, il n’indique point l’espèce du Rossignol proprement dit ; en effet, celui de Dupratz est le moqueur de cet ouvrage (le moqueur de Virginie), lequel porte aussi le nom du Coryphée de nos bois à Saint-Domingue ; le Rossignol de Virginie est la Loxie huppée ou le Cardinal dont je fais la description dans le tome II ; celui de l’Amérique d’Edwards, une Fauvette de la Jamaïque, laquelle diffère du Rossignol d’Europe par son plumage et dont le chant n’est pas connu. William Bartram donne aussi le nom de Philomela, à un petit oiseau jaune que je soupçonne être la Fauvette tachetée[4] ou celle à tête jaune, d’après la description de son chaperon jaune ; le Rossignol de Charlevoix, de Leclerc et du médecin de Québec n’est autre que le Troglodyte ædon, ainsi nommé au Canada, à la Nouvelle-Écosse et ailleurs par les Français et les Américains, vu que son ramage a de l’éclat et de la mélodie, quoique ses phrases soient plus courtes et moins variées que celles de notre chantre des bois. Malgré cette infériorité de chant, cet oiseau a des droits au nom de Rossignol, surtout si on compare son gosier à celui des autres petits volatiles du même pays, et il est vraiment le seul qui puisse l’y remplacer.

« Il diffère si peu par son plumage et sa taille de notre Troglodyte, qu’on le distingue difficilement au premier aperçu ; aussi familier, il semble ne se plaire que près de la demeure de l’homme ; il suffit de lui procurer les commodités qu’exige la position de son nid, pour être sûr de l’attirer dans un jardin, et qu’il y viendra nicher tous les ans, si l’on ne détruit pas sa couvée. Il mérite la protection que les Américains lui accordent, car il n’est aucunement nuisible, puisqu’il ne vit que de larves, de crysalides, de petits insectes et que c’est le seul oiseau chanteur qui se fixe dans les villes. Son ramage est aussi fort, aussi sonore que celui de notre Pinson, Fringilla cœlebs, mais plus moelleux, plus étendu et plus varié. L’Américain qui n’a pas cet oiseau près de sa demeure et qui désire l’y fixer lui construit au printemps une petite maisonnette ; d’autres pour le même motif attachent une calebasse contre leur maison ou au bout d’une perche qu’ils placent au milieu de leur jardin. Ce réduit reste rarement vacant, car les jeunes couples étant forcés de chercher, à leur retour du sud, un canton qui les isole de leurs semblables, s’en emparent aussitôt. Tout ce qui est clos ou obscur leur convient. »

Trêve de textes.

Que conclure de toutes ces autorités ? Que notre Rossignol canadien n’est ni le Rossignol d’Europe, ni même le Troglodyte ædon que Vieillot décrit, espèce fort répandue aux États-Unis et au Haut-Canada, mais rare dans le Bas-Canada.

Le petit Ménestrel[5] qui en avril dans nos campagnes proclame si mélodieusement le retour du printemps et de la verdure, celui que nous appelons le Rossignol, appartient à la tribu des Pinsons. Quel est celui parmi nous qui, après un rude hiver, peut sans émotion entendre son doux ramage, cet accent de la patrie, qui même au vieillard, rappelle les heureux jours de sa jeunesse, le temps qui n’est plus, « l’âge des longs espoirs et des roses pensées, où tout fleurit et chante au dedans de nous. »

Audubon et Brewer semblent croire qu’il y a deux espèces qui portent le même nom — l’une bâtit dans les buissons, l’autre à terre. L’une serait l’oiseau connu à la campagne sous le nom de Rossignol et l’autre sous celui de Rossignol de Rêts ou Guérets ; mais ceci est un tout autre oiseau (c’est le Bay-winged Bunting de Wilson) dont nous parlerons au chapitre suivant.

Le mâle a les couvertures supérieures d’un gris jaunâtre, striées d’un brun noirâtre et roussâtre ; il a sur la tête trois bandes longitudinales d’un gris blanc, les pennes d’un brun foncé, frangées d’un roux brunâtre ; les pennes de la queue d’un brun clair, frangées d’une couleur plus claire ; la gorge blanche, piquée de brun grisâtre sur chaque côté ; les parties inférieures blanches ; le devant du cou avec des teintes roussâtres et barré de brun grisâtre. Le bec est fort.

Longueur totale, 6 ; envergure, 8 .

Le Rossignol, l’automne venu, émigre vers les États du Sud, après avoir élevé trois couvées de jeunes en Canada — la migration se fait pendant la nuit. Le mâle, pendant le temps de la ponte, se perche sur un arbre ou sur une clôture pour charmer par son ramage pendant les longues heures de l’incubation, sa compagne. Il continue à chanter, jusqu’au moment du départ.


  1. No. 363. — Melospiza melodia. — Baird.
    Fringilla melodia.Audubon.
  2. « Le Rossignol du Canada est à peu près le même que celui de France pour la figure ; mais il n’a que la moitié de son chant : le Roitelet lui a dérobé l’autre moitié. »
    (Charlevoix.)
  3. Histoire de la Louisiane.
  4. L’Oiseau jaune du Canada.
  5. Ce Pinson s’est montré cette année vers le 1er avril. Le premier Merle, le 16 du même mois.