Ossian (Lacaussade)/Conlath et Cuthona
Ossian n’a-t-il pas entendu une voix ? ou n’est-ce
que le soupir des jours qui ne sont plus ? Souvent le
souvenir des vieux temps descend sur mon âme
comme le soleil du soir. Le bruit de la chasse se renouvelle,
et je lève en pensée la lance des combats.
Oui, Ossian a entendu une voix. Qui es-tu, fils de la
nuit ? Les enfants des faibles sont endormis. Dans
ma demeure est le vent de minuit. Peut-être est-ce le bouclier de Fingal qui gémit à la brise : il est suspendu dans le palais d’Ossian, et quelquefois je le
touche de mes mains. Oui, je t’entends, ô mon ami !
Ta voix longtemps a été absente de mon oreille !
Sur ton nuage, qui t’amène vers Ossian, fils du généreux Morni ? Les amis du vieillard sont-ils auprès
de toi ? où est Oscar, le fils de la gloire ? À tes côtés
il était souvent, ô Conlath ! quand éclatait le bruit
de la bataille.
La douce voix de Cona dort-elle dans sa demeure
harmonieuse ? Ossian dort-il dans sa demeure, quand
ses amis sont privés de leur gloire ? La mer roule
autour de la sombre I-thona. Dans notre île on ne
voit point nos tombeaux. Combien de temps encore
notre gloire ne sera-t-elle pas chantée, ô fils de la
retentissante Selma !
Oh ! si mes yeux pouvaient te voir, toi qui t’assieds, obscur sur ton nuage ! Es-tu semblable au
brouillard de Lano, au météore de feu à moitié
éteint ? De quoi sont faits les pans de ta robe et ton
arc aérien ?… Il est parti sur sa brise comme l’ombre d’un nuage fugitif. Descends de ta muraille, ô
harpe, et que j’entende tes sons ! Que la lumière de
la mémoire se lève sur I-thona ! que je voie encore
mes amis ! oui, Ossian revoit ses amis sur leur île
bleue et brumeuse. La caverne de Thona m’apparaît
avec ses rochers couverts de mousse et ses arbres
inclinés : à l’entrée rugit un torrent ; Toscar se
penche sur ses ondes. Fercuth est triste à ses côtés.
Cuthona s’assied à quelque distance et pleure. Ne
les entends-je point parler ? ou le vent des vagues
trompe-t-il mon oreille ?
La nuit était orageuse. De leurs montagnes tombaient les chênes gémissants ; la mer sombre roulait sous les vents, et les vagues rugissantes s’élançaient contre nos rochers ; les éclairs brillaient et
montraient souvent la fougère desséchée. Fercuth,
je vis le fantôme qui troublait la nuit : il était debout et silencieux sur ce rivage, sa robe de vapeur
flottait sur le vent ; je pouvais voir ses larmes ; il
semblait un vieillard plein de pensées !
C’était ton père, ô Toscar ! il prévoit la mort de
quelqu’un de sa race. Tel il apparut sur le Cromla,
avant la chute du grand Maronnan. Érin aux collines de verdure, que tes vallées sont agréables ! le
silence est sur les rives de tes bleus ruisseaux ; le
soleil est sur tes plaines. Doux est le son de la harpe
dans Selama ; agréable sur le Cromla est le cri du
chasseur ! Mais nous sommes dans la sombre I-thona, environnés par la teuipète. Les vagues lèvent
leurs blanches têtes au-dessus de nos rochers et
nous tremblons au milieu de la nuit.
Fercuth aux boucles de vieillesse, où s’est envolée ton âme belliqueuse ? Je t’ai vu intrépide dans les dahgers ; tes yeux brûlaient de joie dans les batailles. Où s’est envolée ton ame belliqueuse ? Nos pères n’ont jamais eu peur ! Regarde : la mer se calme, les vents orageux se taisent ; les vagues tremblent encore sur l’abîme, elles semblent craindre la tempête. Regarde : la mer se calme. Le matin blanchit sur nos rochers. Le soleil bientôt sortira de l’Orient, dans tout l’orgueil de sa lumière !
Avec joie j’avais levé mes voiles devant le palais du généreux Conlath. Ma course était près d’une île
déserte où Cathona poursuivait les chevreuils. Je la
vis, semblable à ce rayon de soleil qui sort de ce
nuage ; ses cheveux flottaient sur son sein palpitant.
Se penchant en avant, elle tirait l’arc, et son bras
blanc brillait derrière elle, comme la neige du
Cromla. Viens sur mon âme, m’écriai-je, ô chasseresse
de cette île déserte ! Mais dans les larmes elle
dépense ses heures ; elle rêve au généreux Conlath.
Où puis-je trouver pour toi la paix, Cuthona, ô
jeune et belle vierge !
Loin d’ici, une colline escarpée se penche sur la
mer avec ses arbres antiques et ses rochers couverts
de mousse ; la vague roule à ses pieds ; sur ses flancs
est la demeure des chevreuils ; on la nomme Mora.
Là s’élèvent les tours de mon amant ; là, Conlath,
les yeux sur la mer, attend son unique amour. Les
filles de la chasse revinrent et Conlath vit leurs yeux
baissés. « Où est la fille de Rumar ? » Mais elles ne répondirent point. Fils d’une terre lointaine, la
paix, pour moi, habite sur le Mora !
Cuthona retrouvera la paix ; elle retournera vers
les tours du généreux Conlath ; il est l’ami de Toscar.
Il m’a fêté dans son palais. Levez-vous douces
brises d’Érin ! Tendez mes voiles vers les rives du
Mora. Cuthona reposera heureux sur le Mora ; mais
les jours de Toscar seront tristes. Je m’asseoirai dans
ma caverne, sur la plaine du soleil. Le vent frémira
dans mes arbres et je rêverai que c’est la voix de
Cuthona. Mais elle sera loin, bien loin, dans le palais
du puissant Conlath.
Ah ! quel est ce nuage ? Il porte les ombres de mes pères. Je vois les franges de leurs robes, semblables
au brouillard gris et humide. Quand dois-je mourir,
ô Rumar ? La triste Cuthona prévoit sa mort.
Conlath ne me verra-t-il pas avant que j’entre dans
mon étroite demeure ?
Il te verra, ô jeune fille ! Il vient sur la vague houleuse. Sombre sur sa lance est la mort de Toscar. Mais une blessure est dans son flanc ! À la caverne de Thona il est pâle et montre son horrible blessure. Où es-tu avec tes larmes, ô Cuthona, le chef de Mora expire… Mais sur mon esprit la vision devient obscure et je ne vois plus les chefs ! Bardes des temps futurs, rappelez-vous avec des larmes la chute de Conlath. Il est tombé avant son jour, et la tristesse s’est assombrie sur sa demeure. Sa mère, à la muraille, regardait son bouclier ; et il était ensanglanté. Elle comprit alors que son héros avait succombé et sa douleur fut entendue sur le Mora. Pâle, sur ton rocher, Cuthona, tu restes près des chefs abattus ! La nuit descend et le jour revient, mais personne ne paraît pour élever leurs tombes. Tu chasses les oiseaux de proie ; tes larmes coulent sans cesse et tu es pâle comme l’humide nuage qui s’élève d’un lac !
Enfin arrivèrent les fils de la verte Selma. Ils trouvèrent Cuthona froide. Ils élevèrent une tombe sur les héros. Elle repose à côté de Conlath ! Ne viens plus dans mes rêves, ô Conlath ! Tu as reçu ton chant de gloire. Que ta voix s’éloigne de ma demeure afin que le sommeil puisse y descendre la nuit ! Oh ! que ne puis-je oublier mes amis jusqu’à ce que la trace de mes pas ait cessé d’être vue ! jusqu’à ce qu’avec joie, j’arrive au milieu d’eux, et que j’étende mes membies vieillis dans l’étroite maison des morts !