Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/106

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l’erreur, dont nous nous sommes déjà servis. Je vois une tour qui paraît ronde de loin, quoiqu’elle soit carrée. La pensée que la tour est ce qu’elle paraît, coule naturellement de ce que je vois ; et lorsque je m’arrête à cette pensée, c’est une affirmation, c’est un faux jugement : mais si je pousse l’examen, si quelque réflexion fait que je m’aperçois que les apparences me trompent, me voilà revenu de l’erreur. Demeurer dans un certain endroit, ou n’aller pas plus loin, ne se point aviser de quelque remarque, ce sont des privations.

33 Il en est de même à l’égard de la malice ou de la mauvaise volonté. La volonté tend au bien en général ; elle doit aller vers la perfection qui nous convient, et la suprême perfection est en Dieu. Tous les plaisirs ont en eux-mêmes quelque sentiment de perfection ; mais lorsqu’on se borne aux plaisirs des sens ou à d’autres, au préjudice de plus grands biens, comme de la santé, de la vertu, de l’union avec Dieu, de la félicité, c’est dans cette privation d’une tendance ultérieure que le défaut consiste. En général la perfection est positive, c’est une réalité absolue ; le défaut est privatif, il vient de la limitation, et tend à des privations nouvelles. Ainsi c’est un dicton véritable que le vieux : Bonum ex causa intégra, malum ex quolibet defectu ; comme aussi celui qui porte : Malum causam habet non efficientem, sed deficientem. Et j’espère qu’on concevra mieux le sens de ces axiomes, après ce que je viens de dire.

34 Le concours physique de Dieu et des créatures avec la volonté, contribue aussi aux difficultés qu’il y a sur la liberté. Je suis d’opinion que notre volonté n’est pas seulement exempte de la contrainte, mais encore de la nécessité. Aristote a déjà remarqué qu’il y a deux choses dans la liberté, savoir la spontanéité et le choix ; et c’est en quoi consiste notre empire sur nos actions. Lorsque nous agissons librement, on ne nous force pas, comme il arriverait si l’on nous poussait dans un précipice, et si l’on nous jetait du haut en bas : on ne nous empêche pas d’avoir l’esprit libre lorsque nous délibérons, comme il arriverait si l’on nous donnait un breuvage qui nous ôtât le jugement. Il y a de la contingence dans mille actions de la nature ; mais lorsque le jugement n’est point dans celui qui agit, il n’y a point de liberté. Et si nous avions un jugement qui ne fût accompagné d’aucune inclination à agir, notre âme serait un entendement sans volonté.

35 Il ne faut pas s’imaginer cependant que notre liberté consiste dans une indétermination ou dans une indifférence d’équilibre ;