Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/110

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que la science moyenne doit être comprise dans la science de simpie intelligence. Mais la principale objection va contre le fondement de cette science. Car quel fondement peut avoir Dieu de voir ce que feraient les Kégilites ? Un simple acte contingent si libre n’a rien en soi qui puisse donner un principe de certitude, si ce n’est qu’on le considère comme prédéterminé par les décrets de Dieu, et par les causes qui en dépendent. Donc la difficulté qui se trouve dans les actions libres et actuelles, se trouvera aussi dans les actions libres conditionnelles, c’est-à-dire. Dieu ne les connaîtra que sous la condition de leurs causes et de ses décrets, qui sont les premières causes des choses. Et on ne pourra pas les en détacher pour connaître un événement contingent, d’une manière qui soit indépendante de la connaissance des causes. Donc il faudrait tout réduire à la prédétermination des décrets de Dieu, donc cette science moyenne (dira-t-on) ne remédiera à rien. Les théologiens qui professent d’être attachés à saint Augustin, prétendent aussi que le procédé des molinistes ferait trouver la source de la grâce de Dieu dans les bonnes qualités de l’homme, ce qu’ils jugent contraire à l’honneur de Dieu et à la doctrine de saint Paul.

42 Il serait long et ennuyeux d’entrer ici dans les répliques et dupliques qui se font de part et d’autre, et il suffira que j’explique comment je conçois qu’il y a du vrai des deux côtés. Pour cet effet je viens à mon principe d’une infinité de mondes possibles, représentés dans la région des vérités éternelles, c’est-à-dire dans l’objet de l’intelligence divine, où il faut que tous les futurs conditionnels soient compris. Car le cas du siège de Kégila est d’un monde possible, qui ne diffère du nôtre qu’en tout ce qui a liaison avec cette hypothèse, et l’idée de ce monde possible représente ce qui arriverait en ce cas. Donc nous avons un principe de la science certaine des contingents futurs, soit qu’ils arrivent actuellement, soit qu’ils doivent arriver dans un certain cas. Car dans la région des possibles, ils sont représentés tels qu’ils sont, c’est-à-dire contingents libres. Ce n’est donc pas la prescience des futurs contingents, ni le fondement de la certitude de cette prescience, qui nous doit embarrasser, ou qui peut faire préjudice à la liberté. Et quand il serait vrai que les futurs contingents qui consistent dans les actions libres des créatures raisonnables, fussent entièrement indépendants des décrets de Dieu et des causes externes, il y aurait moyen de les prévoir : car Dieu les verrait tels qu’ils sont dans la région