Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/113

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concourent avec nous, dont le plus souvent l’on ne s’aperçoit pas ; et j’ai déjà dit que lorsqu’on sort d’une chambre, il y a telles raisons qui nous déterminent à mettre un tel pied devant, sans qu’on y réfléchisse. Car il n’y a pas partout un esclave, comme dans la maison de Trimalcion chez Pétrone, qui nous crie : le pied droit devant. Tout ce que nous venons de dire s’accorde aussi parfaitement avec les maximes des philosophes, qui enseignent qu’une cause ne saurait agir, sans avoir une disposition à l’action ; et c’est cette disposition qui contient une prédéterminalion, soit que l’agent l’ait reçue de dehors, ou qu’il l’ait eue en vertu de sa propre commission antérieure.

47 Ainsi on n’a pas besoin de recourir, avec quelques nouveaux thomistes, à une prédétermination nouvelle immédiate de Dieu, qui fasse sortir la créature libre de son indifférence, et à un décret de Dieu de la prédéterminer, qui donne moyen à Dieu de connaître ce qu’elle fera : car il suffit que la créature soit prédéterminée par son état précédent, qui l’incline à un parti plus qu’à l’autre ; et toutes ces liaisons des actions de la créature et de toutes les créatures étaient représentées dans l’entendement divin, et connues à Dieu par la science de la simple intelligence, avant qu’il eût décerné de leur donner l’existence. Ce qui fait voir que pour rendre raison de la prescience de Dieu, on se peut passer, tant de la science moyenne des molinistes, que de la prédétermination, telle qu’un Banes[1] ou un Alvarez[2] (auteurs d’ailleurs fort profonds) l’ont enseignée.

48 Par cette fausse idée d’une indifférence d’équilibre, les molinistes ont été fort embarrassés. On leur demandait non seulement comment il était possible de connaître à quoi se déterminerait une cause absolument indéterminée, mais aussi comment il était possible qu’il en résultât enfin une détermination, dont il n’y a aucune source : car de dire avec Molina, que c’est le privilège de la cause libre, ce n’est rien dire, c’est lui donner le privilège d’être chimérique. C’est un plaisir de voir comment ils se tourmentent pour sortir d’un labyrinthe, où il n’y a absolument aucune issue. Quelques-uns enseignent que c’est

  1. Baynes (Dominique1, théologien espagnol, né à Valladolid, mort en 1601 auteur de plusieurs ouvrages idéologiques et de commentaires sur Aristote. P. J.
  2. Alvarez, dominicain espagnol, né dans ta Yicille-Caslille, défenseur des doctrines thomistes contre les nioliuislcs. On a de lui le Un Ati.viliis dit*, gratise, Lyon, 1611, in-i’ol IJe Coiicordià liberi nrbUrii ciun piwedestiimlionr, Lyon, 1022, in-8". Il parait être l’auteur de la doctrine du Pouvoir prochain, si raillée par Pascal dans ses Provinciales. P. J.