Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/120

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métaphysique subsiste toujours, qui fait que l’âme et le corps composent un même suppôt, ou ce qu’on appelle une personne. Cette communication physique, s’il y en avait, ferait que l’âme changerait le degré de la vitesse et la ligne de direction de quelques mouvements qui sont dans le corps, et vice versa le corps changerait la suite des pensées qui sont dans l’àme, Mais on ne saurait tirer cet effet d’aucune notion qu’on conçoive dans le corps et dans l’âme ; quoique rien ne nous soit mieux connu que l’àme, puisqu’elle nous est intime, c’est-à-dire intime à elle-même.

60 M. Descartes a voulu capituler, et faire dépendre de l’âme une partie de l’action du corps. Il croyait savoir une règle de la nature, qui porte, selon lui, que la même quantité de mouvement se conserve dans le corps. Il n’a pas jugé possible que l’influence de l’âme violât celte loi des corps, mais il a cru que l’âme pourrait pourtant avoir le pouvoir de changer la direction des mouvements qui se font dans le corps ; à peu près comme un cavalier, quoiqu’il ne donne point de force au cheval qu’il monte, ne laisse pas de le gouverner en dirigeant cette force du côté que bon lui semble. Mais comme cela se fait par le moyen du frein, du mors, des éperons, et d’autres aides matérielles, on conçoit comment cela se peut ; mais il n’y a point d’instruments dont l’âme se puisse servir pour cet effet, rien enfin ni dans l’âme, ni dans le corps, c’est- à-dire ni dans la pensée, ni dans la masse, qui puisse servir à expliquer ce changement de l’un par l’autre. En un mot, que l’âme change la quantité de la force, et qu’elle change la ligne de la direction, ce sont deux choses également inexplicables.

61 Outre qu’on a découvert deux vérités importantes sur ce sujet, depuis M. Descartes : la première est, que la quantité de la force absolue qui se conserve en effet, est différente de la quantité de mouvement, comme j’ai démontré ailleurs. La seconde découverte est, qu’il se conserve encore la même direction dans tous les corps ensemble qu’on suppose agir entre eux, de quelque manière qu’ils se choquent. Si cette règle avait été connue de M. Descartes, il aurait rendu la direction des corps aussi indépendante de l’âme, que leur force ; et je crois que cela l’aurait mené tout droit à l’hypothèse de l’harmonie préétablie, où ces mêmes règles m’ont mené. Car outre que l’influence physique de l’une de ces substances sur l’autre est inexplicable, j’ai considéré que sans un dérangement entier des lois de la nature, l’àme ne pouvait agir physiquement sur le corps. Et je