Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/131

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82 Il est vrai qu’il y a des auteurs qui prétendent que Dieu voulant manifester sa miséricorde et sa justice suivant des raisons dignes de lui, mais qui nous sont inconnues, a choisi les élus et rejeté par conséquent les réprouvés avant toute considération du péché, même d’Adam ; qu’après cette résolution il a trouvé bon de permettre le péché pour pouvoir exercer ces deux vertus, et qu’il a décerné des grâces en Jésus-Christ aux uns pour les sauver, qu’il a refusées aux autres pour les pouvoir punir et c’est pour cela qu’on appelle ces auteurs supralapsaires parce que le décret de Dieu précède, selon eux, la connaissance de l’existence future du péché. Mais l’opinion la plus commune aujourd’hui parmi ceux qui s’appellent réformés, et qui est favorisée par le synode de Dordrecht, est celle des infralapsaires, assez conforme au sentiment de saint Augustin, qui porte que Dieu ayant résolu de permettre le péché d’Adam et la corruption du genre humain, pour des raisons justes mais cachées, sa miséricorde lui a fait choisir quelques-uns de la masse corrompue pour être sauvés gratuitement par le mérite de Jésus-Christ, et sa justice l’a fait résoudre à punir les autres par la damnation qu’ils méritaient. C’est pour cela que chez les scolastiques les sauvés seuls étaient appelés prcedestinati et les réprouvés étaient appelés praesciti. Il faut avouer que quelques infralapsaires et autres parlent quelquefois de la prédestination à la damnation, à l’exemple de Fulgence et de saint Augustin même ; mais cela leur signifie autant que destination, et il ne sert de rien de disputer des mots, quoiqu’on en ait pris sujet autrefois de maltraiter ce Godescalque qui fit du bruit vers le milieu du neuvième siècle, et qui prit le nom de Fulgence pour marquer qu’il imitait cet auteur.

83 Quant à la destination des élus à la vie éternelle, les protestants, aussi bien que ceux de l’église romaine, disputent fort entre eux si l’élection est absolue, ou si elle est fondée sur la prévision de la foi vive finale. Ceux qu’on appelle évangéliques, c’est-à-dire ceux de la confession d’Augsbourg, sont pour le dernier parti : ils croient qu’on ne doit point aller aux causes occultes de l’élection, pendant qu’on en peut trouver une cause manifeste marquée dans la sainte Ecriture, qui est la foi en esus-Christ ; et il leur paraît que la prévision de la cause est aussi la cause de la prévision de l’effet. Ceux qu’on appelle réformés sont d’un autre sentiment : ils avouent que le salut vient de la foi en Jésus-Christ, mais ils remarquent que souvent la cause, antérieure à l’effet dans l’exécution, est postérieure