Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/94

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du mauvais côté, et à rendre les hommes tels qu’il les représente.

16 Il faut avouer cependant qu’il y a des désordres dans cette vie, qui se font voir particulièrement dans la prospérité de plusieurs méchants, et dans l’infélicilé de beaucoup de gens de bien. Il y a un proverbe allemand qui donne même l’avantage aux méchants, comme s’ils étaient ordinairement les plus heureux

Je krümmer Holz, je bessre Krücke : Je arger Schalck, je grösser Glucke.

Et il serait à souhaiter que ce mot d’Horace fût vrai à nos yeux :

Raro antecedentem scelestum Deseruit pede pœna claudo.

Cependant il arrive souvent aussi, quoique ce ne soit peut être pas le plus souvent,

Qu’aux yeux de l’univers le ciel se justifie ; et qu’on peut dire avec Claudien[1] :

Abstulit hunc tandem Rufini pœna tumultum, Absolvitque deos.

17 Mais quand cela n’arriverait pas ici, le remède est tout prêt dans l’autre : la religion et même la raison nous l’apprennent, et nous ne devons point murmurer contre un petit délai que la sagesse suprême a trouvé bon de donner aux hommes pour se repentir. Cependant c’est là où les objections redoublent d’un autre côté, quand on considère le salut et la damnation, parce qu’il paraît étrange que, même dans le grand avenir de l’éternité, le mal doive avoir l’avantage sur le bien, sous l’autorité suprême de celui qui est le souverain bien, puisqu’il y aura beaucoup d’appelés et peu d’élus ou de sauvés. Il est vrai qu’on voit par quelques vers de Prudence[2] (Hymn. ante Somnum) :

  1. Claudien, poète latin de la décadence, sous le règne de Théodose, d’Arcadius et de Honorius ; né à Alexandrie, en Égypte. Parmi les innombrables éditions de ses œuvres, on cite celle de Gessner, 2 vol. in-8°, Leipzig, 1759. P. J.
  2. Prudence, poète latin, chrétien, né en Espagne eu 318. On ne dit point la date de sa mort, mais il parait avoir vécu assez tard dans le \° siècle. Les œuvres de Prudence font partie des Poctœ chrisliani (Venise, 1501, Alde). Parmi les plus récentes, on remarquera celle de D. Elzevier, Amsterdam, 1667, deux tomes en un vol. in-12, avec les notes de Nicol. Heinsius. P. J.