Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/369

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Rome, lui dit : « Ces forêts, des Faunes indigènes et des nymphes les habitaient jadis ; là vivait une race d’hommes nés du tronc dur des chênes, sans mœurs et sans lois. Ils ne savaient ni joindre des taureaux sous le joug, ni amasser pour les besoins de la vie, ni ménager ce qu’ils avaient acquis. Les fruits des arbres, la chasse, faisaient leur âpre nourriture. Saturne, le premier, vint de l’Olympe éthéré dans ces contrées ; banni et dépouillé de son royaume, (8, 320) il fuyait les armes victorieuses de Jupiter. Saturne rassembla ces hommes indomptables et dispersés sur les hautes montagnes, leur donna des lois, et voulut qu’on appelât Latium ce pays où il s’était caché, et où il avait trouvé un sûr asile. On dit que sous son règne s’écoula l’âge d’or ; tant il gouvernait en paix ses peupies ! Mais peu à peu vint un âge décoloré, et d’un métal moins pur ; et avec lui vinrent la rage de la guerre et la fureur d’acquérir. Alors arrivèrent en ces lieux Ausoniens et Sicaniens ; et souvent la terre de Saturne changea de nom. (8, 330) Enfin des rois y dominèrent, et Thybris, guerrier formidable, à l’énorme taille, donna son nom au fleuve ; depuis, les Italiens l’ont appelé Thybre ; et c’est fini de l’antique et doux nom d’AlbuIa. Pour moi, chassé de ma patrie et courant sur les mers tous les hasards extrêmes, la fortune toute-puissante et l’inévitable destin m’ont fixé sur ces bords ; et j’y étais poussé par les redoutables avertissements de la nymphe Carmente, ma mère, et par les ordres absolus d’Apollon. » Ainsi parlait Évandre en s’avançant vers la ville. Alors il montre à Énée l’autel et la porte nommée depuis par les Romains Carmentale ; monument élevé à l’antique prophétesse, (8, 340) qui la première annonça la gloire future des descendants d’Énée, et la splendeur des murs de Pallas. Puis il lui fait voir l’immense forêt où le bouillant Romulus ouvrit un asile aux étrangers, et le rocher fameux du froid Lupercal, appelé Panos, du nom que les Arcadiens donnent à Pan du Lycée. Il n’oublie pas non plus le bois sacré d’Argilète, et il prend à témoin ce lieu funeste et le tombeau du perfide Argien, son hôte, qu’il n’a pu empêcher les siens d’immoler. De là il conduit Enée vers le mont Tarpéius et vers le futur Capitole, aujourd’hui resplendissant d’or, en ce temps-là hérissé de buissons et de ronces : déjà la sainte horreur qui l’environne frappait les esprits terrifiés ; (8, 350) déjà les habitants de ces campagnes tremblaient à la vue du bois et de la roche. « Ce bois, dit Évandre, cette colline au sommet verdoyant, un dieu (lequel ? on ne sait), mais un dieu y réside : les Arcadiens croient y avoir vu Jupiter lui-même, alors que de son bras droit il agitait souvent sa noire égide, et qu’il rassemblait les nuages. Plus loin vous voyez des murs çà et là renversés ; ce sont les restes de deux cités, monuments des anciens héros qui les ont habitées. L’une fut bâtie sur ces hauteurs par Janus, l’autre par Saturne ; celle-ci portait le nom de Saturnie, celle-là de Janicule. » Ils approchaient, s’entretenant ainsi, (8, 360) de l’humble demeure d’Évandre ; ils voyaient des troupeaux épars errer