Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 2.djvu/240

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Philinte
1555Non, je tombe d’accord de tout ce qu’il vous plaît :

Tout marche par cabale et par pur intérêt ;
Ce n’est plus que la ruse aujourd’hui qui l’emporte,
Et les hommes devraient être faits d’autre sorte.
Mais est-ce une raison que leur peu d’équité,
1560Pour vouloir se tirer de leur société ?
Tous ces défauts humains nous donnent, dans la vie,
Des moyens d’exercer notre philosophie :
C’est le plus bel emploi que trouve la vertu ;
Et, si de probité tout était revêtu,
1565Si tous les cœurs étaient francs, justes, et dociles,
La plupart des vertus nous seraient inutiles,
Puisqu’on en met l’usage à pouvoir sans ennui
Supporter dans nos droits l’injustice d’autrui ;
Et, de même qu’un cœur d’une vertu profonde…

Alceste
1570Je sais que vous parlez, monsieur, le mieux du monde ;

En beaux raisonnements vous abondez toujours ;
Mais vous perdez le temps et tous vos beaux discours.
La raison, pour mon bien, veut que je me retire :
Je n’ai point sur ma langue un assez grand empire :
1575De ce que je dirais je ne répondrais pas,
Et je me jetterais cent choses sur les bras.
Laissez-moi, sans dispute, attendre Célimène.
Il faut qu’elle consente au dessein qui m’amène ;
Je vais voir si son cœur a de l’amour pour moi ;
1580Et c’est ce moment-ci qui doit m’en faire foi.

Philinte
Montons chez Éliante, attendant sa venue.


Alceste
Non : de trop de souci je me sens l’âme émue.

Allez-vous-en la voir, et me laissez enfin
Dans ce petit coin sombre avec mon noir chagrin.

Philinte
1585C’est une compagnie étrange pour attendre ;

Et je vais obliger Éliante à descendre.