Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/139

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tre classes on pût élire des juges ; mais que ce ne fût que dans les trois premieres, où étoient les citoyens aisés, qu’on pût prendre les magistrats.

Comme la division de ceux qui ont droit de suffrage, est dans la république une loi fondamentale ; la maniere de le donner est une autre loi fondamentale.

Le suffrage par le sort est de la nature de la démocratie ; le suffrage par choix est de celle de l’aristocratie.

Le sort est une façon d’élire qui n’afflige personne ; il laisse à chaque citoyen une espérance raisonnable de servir sa patrie.

Mais, comme il est défectueux par lui-même, c’est à le régler & à le corriger que les grands législateurs se sont surpassés.

Solon établit à Athenes, que l’on nommeroit par choix à tous les emplois militaires ; & que les sénateurs & les juges seroient élus par le sort.

Il voulut que l’on donnât par choix les magistratures civiles qui exigeoient une grande dépense, & que les autres fussent données par le sort.

Mais pour corriger le sort, il régla qu’on ne pourroit élire que dans le nombre de ceux qui se présenteroient ; que celui qui auroit été élu, seroit examiné par des juges[1], & que chacun pourroit l’accuser d’en être indigne[2] : cela tenoit en même temps du sort & du choix. Quand on avoit fini le temps de sa magistrature, il falloit essuyer un autre jugement sur la maniere dont on s’étoit comporté. Les gens sans capacité devoient avoir bien de la répugnance à donner leur nom pour être tirés au sort.

La loi qui fixe la maniere de donner les billets de suffrage, est encore une loi fondamentale dans la démocratie. C’est une grande question, si les suffrages doi-

  1. Voyez l’oraison de Démosthene, de falsa legat. & l’oraison contre Timarque.
  2. On tiroit même, pour chaque place, deux billets ; l’un qui donnoit la place, l’autre qui nommoit celui qui devoit succéder, en cas que le premier fût rejetté.