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PHÉDON

c’est d’être lancés dans le Tartare, d’où plus jamais ils ne sortent[1]. Quant à ceux dont les fautes ont été reconnues pour des fautes qui, malgré leur gravité, ne sont pas sans remède (ainsi ceux qui, sous l’empire de la colère, ont usé de violence à l’égard de leurs père et mère et qui s’en sont repentis 114le restant de leur vie, ou qui, dans d’autres conditions semblables, sont devenus homicides), pour ceux-là c’est bien une nécessité d’être précipités dans le Tartare ; mais, lorsqu’après y être tombés ils ont en ce lieu fait leur temps, la montée du flot les rejette, les homicides au fil du Cocyte, et au fil du Pyriphlégéthon ceux qui ont porté la main sur leur père ou leur mère. Une fois qu’ils ont été transportés à la hauteur du lac Achérousias, là ils appellent à grands cris, les uns ceux qu’ils ont tués, les autres ceux qu’ils ont violentés ; après les appels, les supplications : ils réclament d’eux qu’ils les laissent passer sur le lac et qu’ils les accueillent. b Réussissent-ils à les fléchir, ils passent et c’est la fin de leurs peines. Dans le cas contraire, ils sont de nouveau portés au Tartare et de là ramenés aux fleuves, et telle est, sans trêve, leur condition jusqu’à ce qu’ils aient pu fléchir ceux qu’ils ont injustement traités ; car voilà la punition que les Juges[2] ont ordonnée pour eux. Ceux enfin dont il aura été reconnu que la vie fut d’une éminente sainteté, voilà ceux qui, de ces régions intérieures de la terre, sont en fait, ainsi que de geôles, libérés à la fois et dégagés ; c ceux qui, parvenus aux hauteurs du pur séjour, s’établissent sur le dessus de la terre ! Et, parmi ceux-là mêmes, ceux qui par la philosophie se sont, autant qu’il faut, purifiés, ceux-là vivent absolument sans corps pour toute la suite de la durée[3], et ils parviennent à des demeures

  1. De même Gorgias 525 c-e, 526 b ; Rep. X, 615 c-616 a. Mais, avec la doctrine ultérieure du Phèdre (248 e-249 b), il n’y a plus de peines éternelles, car les plus grands coupables eux-mêmes peuvent à nouveau choisir leur destinée ; ils sortent donc du Tartare.
  2. Éaque juge les morts d’Europe et Rhadamanthe, d’Asie ; Minos est arbitre suprême (Gorg. 524 a ; l’Apologie 41 a ajoute Triptolème). L’expiation dure mille ans au moins : les âmes ne peuvent « revenir » (cf. 113 a) plus tôt (Rep. 615 a, 619 d ; Phèdre 249 ab).
  3. La prison d’Hadès (Gorg. 525 c) ne les garde pas. Mais leur droit immédiat (p. 86, n. 5) à la béatitude et même à l’incorporéité sera subordonné plus tard (Phèdre 248 e sq.) à trois options millénaires identiques.