Page:À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 2.djvu/113

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viendrions ensemble, vous me ramèneriez chez moi. »

Il est vrai qu’un jour Forcheville avait demandé à être ramené en même temps, mais comme, arrivé devant la porte d’Odette, il avait sollicité la permission d’entrer aussi, Odette lui avait répondu en montrant Swann : « Ah ! cela dépend de ce monsieur-là, demandez-lui. Enfin, entrez un moment si vous voulez, mais pas longtemps, parce que je vous préviens qu’il aime causer tranquillement avec moi, et qu’il n’aime pas beaucoup qu’il y ait des visites quand il vient. Ah ! si vous connaissiez cet être-là autant que je le connais ; n’est-ce pas, my love, il n’y a que moi qui vous connaisse bien ? »

Et Swann était peut-être encore plus touché de la voir ainsi lui adresser en présence de Forcheville, non seulement ces paroles de tendresse, de prédilection, mais encore certaines critiques comme : « Je suis sûre que vous n’avez pas encore répondu à vos amis pour votre dîner de dimanche. N’y allez pas si vous ne voulez pas, mais soyez au moins poli », ou : « Avez-vous laissé seulement ici votre essai sur Ver Meer pour pouvoir l’avancer un peu demain ? Quel paresseux ! Je vous ferai travailler, moi ! », qui prouvaient qu’Odette se tenait au courant de ses invitations dans le monde et de ses études d’art, qu’ils avaient bien une vie à eux deux. Et en disant cela, elle lui adressait un sourire au fond duquel il la sentait toute à lui.

Alors à ces moments-là, pendant qu’elle leur faisait de l’orangeade, tout d’un coup, comme quand un réflecteur mal réglé d’abord promène autour d’un objet, sur la muraille, de grandes ombres fantastiques, qui viennent ensuite se replier et s’anéantir en lui, toutes les idées terribles et mouvantes qu’il se faisait d’Odette s’évanouissaient,