Page:À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 2.djvu/195

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ment il n’y en a que pour moi, je suis un amour, elle m’embrasse, elle veut que je fasse des courses avec elle, elle veut que je la tutoie. » Loin de voir alors dans cette phrase un rapport quelconque avec les absurdes propos destinés à simuler le vice que lui avait racontés Odette, il l’avait accueillie comme la preuve d’une chaleureuse amitié. Maintenant voilà que le souvenir de cette tendresse de Mme  Verdurin était venu brusquement rejoindre le souvenir de sa conversation de mauvais goût. Il ne pouvait plus les séparer dans son esprit et les vit mêlées aussi dans la réalité, la tendresse donnant quelque chose de sérieux, et d’important à ces plaisanteries qui en retour lui faisaient perdre de son innocence. Il alla chez Odette. Il s’assit loin d’elle. Il n’osait l’embrasser, ne sachant si en elle, si en lui, c’était l’affection ou la colère qu’un baiser réveillerait. Il se taisait, il regardait mourir leur amour. Tout à coup il prit une résolution.

— Odette, lui dit-il, mon chéri, je sais bien que je suis odieux, mais il faut que je te demande des choses. Tu te souviens de l’idée que j’avais eue à propos de toi et de Mme  Verdurin ? Dis-moi si c’était vrai, avec elle ou avec une autre.

Elle secoua la tête en fronçant la bouche, signe fréquemment employé par les gens pour répondre qu’ils n’iront pas, que cela les ennuie, à quelqu’un qui leur a demandé : « Viendrez-vous voir passer la cavalcade, assisterez-vous à la Revue ? » Mais ce hochement de tête affecté ainsi d’habitude à un événement à venir mêle à cause de cela de quelque incertitude la dénégation d’un événement passé. De plus il n’évoque que des raisons de convenance personnelle plutôt que la réprobation, qu’une impossibilité morale. En voyant Odette lui faire