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trousser les passants et se partager le butin. Voyez-les déjà, les futurs fonctionnaires, au collège avec leur képi numéroté ou dans quelque université avec leurs casquettes blanches ou vertes : peut-être n’ont-ils prêté aucun serment en endossant l’uniforme, mais s’ils n’ont pas juré, ils n’en agissent pas moins suivant l’esprit de caste, bien résolus à prendre toujours les meilleurs parts. Essayez de rompre le « monôme » des anciens polytechniciens, afin qu’un homme de mérite puisse se mettre dans leurs rangs et arrive à partager les mêmes fonctions ou les mêmes honneurs ! Jamais vous n’y parviendrez. Plutôt mourir, que d’accepter l’intrus ! Que l’ingénieur, feignant de savoir son métier, fasse des ponts trop courts ou des tunnels trop bas, peu nous importe, mais avant tout qu’il sorte de l’École.

Ainsi le révolutionnaire en sait assez pour se méfier à bon droit de tout pouvoir déjà constitué ou seulement en germe. Il en sait également assez pour se méfier des mots plus ou moins grandioses qu’on a pu lui enseigner et qui d’ordinaire cachent un redoutable piège. On lui parle de « patriotisme », mais il commence à savoir que ce mot représente pour le naïf une duperie pure ; il apprend mieux de jour en jour que le patriotisme se prêche pour servir l’ensemble des intérêts et des privilèges de la classe dirigeante et qu’il doit engendrer, au profit de cette classe, la haine de frontière à frontière entre tous les faibles et les déshérités. On lui parle aussi d’ordre et de paix sociale. Sans doute, la paix sociale est un grand idéal à réaliser, à Une condition pourtant : que cette paix soit celle de la vie et non celle du tombeau ; qu’elle soit l’effet non de la domination indiscutée des uns et