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XXI
PRÉFACE


IV


Il est banal de rappeler que l’art est avant tout la splendeur vivante de la forme. En poésie, comme en peinture, le style n’est pas seulement tout l’homme, il est presque toute l’œuvre. Je dois donc, pour compléter cette étude, apprécier Nelligan à ce point de vue, rechercher sa filiation littéraire, analyser sa langue poétique dans ses éléments constitutifs : phrase, image, rythme et prosodie, le juger en un mot comme styliste et comme écrivain.

Ici, je suis à l’aise pour louer notre jeune poète, avec seulement quelques réserves ; — car sa gloire est surtout d’avoir fondu une pensée parfois hésitante et impersonnelle dans un moule précieux et rare. C’est par là surtout que son œuvre, en tenant compte des circonstances, revêt un caractère prestigieux, qu’on y voit éclater quelque chose de plus que le talent, que l’aptitude, que l’habileté acquise : je veux dire le don, ce présent direct et purement gratuit de la mystérieuse Nature.

Car, je l’ai dit plus haut, Nelligan n’a rien appris, et la grammaire pas plus que le reste. Cela se voit, il faut l’avouer, en plus d’une page de ses écritures. La syntaxe n’est pas son fort, et ce fut un malheur pour lui d’être venu au monde avant la simplification de l’orthographe. Mais ce qui étonne, c’est qu’il possède avec cela un vocabulaire d’une éblouissante richesse ; c’est que sous sa plume abondent les tournures délicates et savantes ; c’est que cet étranger connaît toutes les finesses d’une langue dont il ignore le rudiment. De là résulte un curieux mélange de naïvetés grammaticales et de raffinements stylesques. Les unes sont de l’écolier paresseux et peu ferré sur les participes ; les autres de l’artiste instinctif, que guide une science quasi infuse.