Page:Érasme - Éloge de la folie, trad de Nolhac, 1964.djvu/118

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

main, à voir comment le Christ, triomphant par la croix, a ramené à son Père la proie qu’il avait arrachée aux Enfers ; comment il s’est allié à la synagogue de Moïse comme à l’épouse d’Urie pour en faire naître le peuple pacifique ; comment, ivre du vin doux de la Charité, il s’est dévoué lui-même pour nous ; comment il a introduit un nouveau genre de doctrine, fort éloigné des décrets de tous : sages et fous, qui, je le demande, pourrait s’en choquer, surtout quand nous trouvons parfois dans les saintes Écritures chacun de ces mots employé en bonne part ? Dans les Chiliades (il nous en souvient en passant), nous avons appelé les Apôtres des Silènes, et nous avons même dit que le Christ lui-même était une sorte de Silène. Qu’il se présente un malhonnête interprète pour expliquer odieusement cela en trois mots, quoi de plus intolérable ? Mais qu’un pieux et honnête lecteur lise ce que j’ai écrit, il approuvera l’allégorie.


XXIII. — Je suis très étonné qu’on n’ait pas remarqué avec quelles précautions j’exprime ces choses et combien j’ai soin de les adoucir par une correction. Voici ce que j’écris : « Mais puisque nous voilà revêtus une bonne fois de la peau du lion, avançons et montrons aussi que cette félicité des chrétiens, qu’ils acquièrent par tant d’épreuves, n’est qu’un certain genre d’insanité et de folie. N’en veuillez pas aux mots. Envisagez plutôt la chose elle-même. » Tu l’entends ? Avant que la Folie dispute sur un pareil mystère, j’ai l’adoucissement de lui faire dire par un proverbe qu’elle vient de revêtir la dépouille du lion. Je ne dis pas simplement « la folie et l’insanité », mais « un genre de folie et d’insanité », pour qu’on comprenne qu’il y a une pieuse folie et une heureuse insanité, selon la distinction que j’établis ensuite. Non content de cela, j’ajoute « un certain », pour faire voir qu’il y a là-dessous une figure, et que mon propos n’est pas littéral. Non content de tout cela encore, je mets en garde contre l’offense que le son des mots pourrait créer, et j’avertis de faire plus attention à ce qui est dit, qu’aux termes dans lesquels c’est dit. Et cela, tout de suite, dès l’énoncé de ma proposition. Après, dans le développement même, n’ai-je point tout dit avec la piété, avec la circonspection désirable, et même avec plus de respect qu’il ne convient à la Folie ? Mais, sur ce point, j’ai mieux aimé oublier un instant les convenances que de ne pas satisfaire à la dignité du sujet ;