Page:Ésope - Fables - Émile Chambry.djvu/29

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ou la naïveté comique. Ils suffisent cependant pour nous donner une idée du genre. On ne les retrouvera pas dans nos manuscrits, mais on y en verra quelques-uns aussi faibles.


On attribue à Ésope des fables plus anciennes ou plus récentes que lui.

Il est remarquable qu’Aristophane attribue à Ésope la fable de l’Aigle et du Renard, bien qu’elle se rencontre déjà dans Archiloque. Sans doute aussi la fable d’Ésope et de la Chienne n’est pas plus d’Ésope que la précédente. Est-ce Aristophane qui a donné le premier l’exemple de mettre sur le compte du père de la fable des fables qui furent connues avant lui ou naquirent après lui ? Il est plus probable qu’il ne faisait que suivre un usage, ou plutôt une mode qui avait pour but de piquer la curiosité, en prêtant au récit l’autorité d’un personnage fameux. Le scholiaste d’Aristophane (Oiseaux, 651) a constaté cette mode : « Il est clair, dit-il, qu’on attribuait les fables à Ésope, même celle-ci[1] qui est contée par Archiloque, qui est plus ancien qu’Ésope. » On alla plus loin encore dans cette voie : non content de rapporter les fables à Ésope, on les rattacha même à quelque circonstance de sa vie. C’est ce que fait Aristophane lui-même à propos de la fable de l’Aigle et de l’Escarbot : « Un jour à Delphes Ésope fut accusé d’avoir volé une fiole sacrée, mais il répondit que l’escarbot… (Guêpes, 1446-8). C’est aussi ce que fit Socrate, si l’on s’en rapporte à Diogène Laërce (II 5, 43) qui lui prête ce début de fable : « Un jour Ésope dit aux habitants de Corinthe qu’on ne doit pas soumettre la vertu au jugement du populaire. » Aristote lui-même nous représente le fabuliste plaidant ironiquement devant le peuple de Samos la cause d’un démagogue, et contant la fable du Renard et du Hérisson ; ailleurs il fait allusion à la repartie d’Ésope aux constructeurs de vaisseaux (Météor. II, 3). Ainsi se forma peu à peu cette légende d’Ésope, voyageur qu’on promène dans tous les pays où fleurit la fable, à Athènes, à Corinthe, dans la Grande Grèce, en Lydie, et, plus tard, quand la fable assyrienne se fut infiltrée en Grèce, à la cour de Babylone et à celle d’Égypte.

  1. L’Aigle et le Renard.