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L’auteur n’a plus qu’une chose à faire : continuer, et mourir. Il a quitté son pays le ii décembre 1851 ; il y est revenu le 5 septembre 1870.

À son retour, il a trouvé l’heure plus sombre et le devoir plus grand que jamais.


II


La patrie a cela de poignant qu’en sortir est triste, et qu’y rentrer est quelquefois plus triste encore. Quel proscrit romain n’eût mieux aimé mourir comme Brutus que voir l’invasion d’Attila ? Quel proscrit français n’eût préféré l’exil éternel à l’effondrement de la France sous la Prusse, et à l’arrachement de Metz et de Strasbourg ?

Revenir dans son foyer natal le jour des catastrophes ; être ramené par des événements qui vous indignent ; avoir longtemps appelé la patrie dans sa nostalgie et se sentir insulté par la complaisance du destin qui vous exauce en vous humiliant ; être tenté de souffleter la fortune qui mêle un vol à une restitution ; retrouver son pays, dulcis Argos, sous les pieds de deux empires, l’un en triomphe, l’autre en déroute ; franchir la frontière sacrée à l’heure où l’étranger la viole ; ne pouvoir que baiser la terre en pleurant ; avoir à peine la force de crier : France ! dans un étouffement de sanglots ; assister à l’écrasement des braves ; voir monter à l’horizon de hideuses fumées, gloire de l’ennemi faite de votre honte ; passer où le carnage vient de passer ; traverser des champs sinistres où l’herbe sera plus épaisse l’année prochaine ; voir se prolonger à perte de vue, à mesure qu’on avance, dans les prés, dans les bois, dans les vallons, dans les collines, cette chose que la France n’aime pas , la fuite ; rencontrer des dispersions farouches de soldats accablés ; puis rentrer dans l’immense ville héroïque qui va subir un monstrueux siège de cinq mois ; retrouver la France, mais gisante et sanglante, revoir Paris, mais affamé et bombardé ; certes, c’est là une inexprimable douleur.

C’est l’arrivée des barbares ; eh bien, il y a une autre attaque non moins funeste, c’est l’arrivée des ténèbres.

Si quelque chose est plus lugubre que le piétinement de nos sillons par les talons de la landwehr, c’est l’envahissement du dix-neuvième siècle par le moyen-âge. Crescendo outrageant. Après l’empereur, le pape ; après Berlin, Rome.

Après avoir vu triompher le glaive, voir triompher la nuit !