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152 DEPUIS L’EXIL. — PARIS — 1871.

et non de force, n’attendez pas. Faites l’amnistie aujourd’hui, elle est pour vousj faites-la demain, elle est contre vous.

Regardez le pavé, il vous conseille l’amnistie. Les amnisties sont des lavages. Tout le monde en profite.

L’amnistie est aussi bien pour ceux qui la donnent que pour ceux qui la reçoivent. Elle a cela d’admirable qu’elle fait grâce des deux côtés. Mes amis, les pontons sont dévorants. Après ceux qui ont péri, je ne puis me résigner à en voir périr d’autres.

Nous assistons en ce moment à une chose terrible, c’est le triomphe de la mort. On croyait la mort vaincue. On la croyait vaincue dans la loi, on la croyait vaincue dans la diplomatie. On entrevoyait la fin du coupe-tête et la fin du reître. En 93 , une année de guillotine avait formidablement répliqué aux douze siècles de potence, de roue et d’écartèlement de la monarchie, et après la révolution on pouvait croire l’échafaud épuisé 5 puis était venue une bataille de quinze ans, et après Napoléon on pouvait croire la guerre vidée. La peine capitale, abolie dans toutes les consciences, commençait à disparaître des codes j vingt-sept gouvernements, dans l’ancien et le nouveau continent, l’avaient raturée 5 la paix se faisait dans la loi, et la concorde naissait entre les nations j les juges n’osaient plus condamner les hommes à mort par l’échafaud, et les rois n’osaient plus condamner les peuples à mort par la guerre. Les poètes, les philosophes, les écrivains, avaient fait ce travail magnifique. Les Tyburn et les Montfaucon s’abîmaient dans leur honte, et les Austerlitz et les Rosbach dans leur gloire. Plus de tuerie, ni juridique, ni militaire j le principe de l’inviolabilité humaine était admis. Pour la première fois depuis six mille ans, le genre humain avait la respiration libre. Cette montagne, la mort, était ôtée de dessus la poitrine du titan. La civilisation vraie allait commencer. Tout à coup l’an 1870 s’est levé, ayant dans sa main droite l’épée, et dans sa main gauche la hache. La mort a reparu, Janus épouvantable, avec ses deux faces de spectre, l’une qui est la guerre, l’autre qui est le supplice. On a entendu cet affreux cri : Représailles ! Le talion imbécile a été évoqué par la guerre étrangère et par la guerre civile. Œil pour œil, dent pour dent, province pour province. Le meurtre sous ses deux espèces, bataille et massacre, s’est rué d’abord sur la France, ensuite sur le peuple j des européens ont conçu ce projet : supprimer la France, et des français ont machiné ce crime : supprimer Paris. On en est là.

Et au lieu de l’affirmation que veut ce siècle, c’est la négation qui est venue. L’échafaud, qui était une larve, est devenu une réalité} la guerre, qui était un fantôme, est devenue une nécessité} sa disparition dans le passé se complique d’une réapparition dans l’avenir} en ce moment-ci les