Page:Œuvres complètes, Impr. nat., Actes et Paroles, tome III.djvu/77

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famille se sont improvisés soldats. Ce grand peuple parisien a crée des bataillons, fondu des canons, élevé des barricades, creuse des mines, multiplié ses forteresses, gardé son rempart ; et il a eu faim, et il a eu froid ; en même temps que tous les courages, il a eu toutes les souffrances. Les énumérer n’est pas inutile, l’histoire écoute.

Plus de bois, plus de charbon, plus de gaz , plus de feu, plus de pain ! Un hiver horrible, la Seine charriant quinze degrés de glace, la famine, le typhus, les épidémies, la dévastation, la mitraille, le bombardement. Paris, à l’heure qu’il est, est cloué sur sa croix et saigne aux quatre membres. Eh bien, cette ville qu’aucune n’égalera dans l’histoire, cette ville majestueuse comme Rome et stoïque comme Sparte, cette ville que les prussiens peuvent souiller, mais qu’ils n’ont pas prise (Très bien ! très bien !), — cette cité auguste, Paris, nous a donné un mandat qui accroît son péril et qui ajoute à sa gloire, c’est de voter contre le démembrement de la patrie (bravos sur les bancs de la gauche) ; Paris a accepté pour lui les mutilations, mais il n’en veut pas pour la France.

Paris se résigne à sa mort, mais non à notre déshonneur (Très bien ! très bien !), et, chose digne de remarque, c’est pour l’Europe en même temps que pour la France que Paris nous a donné le mandat d’élever la voix. Paris fait sa fonction de capitale du continent.

Nous avons une double mission à remplir, qui est aussi la vôtre :

Relever la France, avertir l’Europe. Oui, la cause de l’Europe, à l’heure qu’il est, est identique à la cause de la France. Il s’agit pour l’Europe de savoir si elle va redevenir féodale ; il s’agit de savoir si nous allons être rejetés d’un écueil à l’autre, du régime théocratique au régime militaire.

Car, dans cette fatale année de concile et de carnage… (Oh ! oh !)

Voix à gauche : Oui ! oui ! très bien !

M. Victor Hugo. — Je ne croyais pas qu’on pût nier l’effort du pontificat pour se déclarer infaillible, et je ne crois pas qu’on puisse contester ce fait, qu’à côté du pape gothique, qui essaye de revivre, l’empereur gothique reparaît. (Bruit à droite. — Approbation sur les bancs de la gauche.)

Un membre à droite. — Ce n’est pas la question !

Un autre membre à droite. — Au nom des douleurs de la patrie, laissons tout cela de côté. (Interruption.)

M. Le Président. — Vous n’avez pas la parole. Continuez, monsieur Victor Hugo.

M. Victor Hugo. — Si l’œuvre violente à laquelle on donne en ce moment le nom de traité s’accomplit, si cette paix inexorable se conclut, c’en en fait du repos de l’Europe ; l’immense insomnie du monde va commencer. (Assentiment à gauche.)