Page:Œuvres complètes de Blaise Pascal Hachette 1871, vol1.djvu/262

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attendit que sa santé fût entièrement rétablie pour y travailler tout de bon, et pour écrire les choses qu’il avoit déjà digérées et disposées dans son esprit, cependant, lorsqu’il lui survenoit quelques nouvelles pensées, quelques vues, quelques idées, ou même quelque tour et quelques expressions qu’il prévoyoit lui pouvoir un jour servir pour son dessein, comme il n’étoit pas alors en état de s’y appliquer aussi fortement que lorsqu’il se portoit bien, ni de les imprimer dans son esprit et dans sa mémoire, il aimoit mieux en mettre quelque chose par écrit pour ne les pas oublier ; et pour cela il prenoit le premier morceau de papier qu’il trouvoit sous sa main, sur lequel il mettoit sa pensée en peu de mots, et fort souvent même seulement à demi-mot : car il ne l’écrivoit que pour lui, et c’est pourquoi il se contentoit de le faire fort légèrement, pour ne pas se fatiguer l’esprit, et d’y mettre seulement les choses qui étoient nécessaires pour le faire ressouvenir des vues et des idées qu’il avoit.

C’est ainsi qu’il a fait la plupart des fragmens qu’on trouvera dans ce recueil : de sorte qu’il ne faut pas s’étonner s’il y en a quelques-uns qui semblent assez imparfaits, trop courts et trop peu expliqués, dans lesquels on peut même trouver des termes et des expressions moins propres et moins élégantes. Il arrivoit néanmoins quelquefois, qu’ayant la plume à la main, il ne pouvoit s’empêcher, en suivant son inclination, de pousser ses pensées, et de les étendre un peu davantage, quoique ce ne fût jamais avec la même force et la même application d’esprit que s’il eût été en parfaite santé. Et c’est pourquoi l’on en trouvera aussi quelques-unes plus étendues et mieux écrites, et des chapitres plus suivis et plus parfaits que les autres.

Voilà de quelle manière ont été écrites ces Pensées. Et je crois qu’il n’y aura personne qui ne juge facilement, par ces légers commencemens et par ces foibles essais d’une personne malade, qu’il n’avoit écrits que pour lui seul, et pour se remettre dans l’esprit des pensées qu’il craignoit de perdre, qu’il n’a jamais revus ni retouchés, quel eût été l’ouvrage entier, s’il eût pu recouvrer sa parfaite santé et y mettre la dernière main, lui qui savoit disposer les choses dans un si beau jour et un si bel ordre, qui donnoit un tour si particulier, si noble et si relevé, à tout ce qu’il vouloit dire, qui avoit dessein de travailler cet ouvrage plus que tous ceux qu’il avoit jamais faits, qui y vouloit employer toute la force d’esprit et tous les talens que Dieu lui avoit donnés, et duquel il a dit souvent qu’il lui falloit dix ans de santé pour l’achever.

Comme l’on savoit le dessein qu’avoit Pascal de travailler sur la religion, l’on eut un très-grand soin, après sa mort, de recueillir tous les écrits qu’il avoit faits sur cette matière. On les trouva tous ensemble enfilés en diverses liasses, mais sans aucun ordre, sans aucune suite, parce que, comme je l’ai déjà remarqué, ce n’étoit que les premières expressions de ses pensées qu’il écrivoit sur de petits morceaux de papier à mesure qu’elles lui venoient dans l’esprit. Et tout cela étoit si imparfait et si mal écrit, qu’on a eu toutes les peines du monde à le déchiffrer.

La première chose que l’on fit fut de les faire copier tels qu’ils étoient, et dans la même confusion qu’on les avoit trouvés. Mais lorsqu’on les vit en cet état, et qu’on eut plus de facilité de les lire et de les examiner que dans les originaux, ils parurent d’abord si informes, si peu suivis, et la plupart si peu expliqués, qu’on fut fort longtemps sans penser du tout à les faire imprimer, quoique plusieurs personnes de très-grande considération le demandassent souvent avec des instances