Page:Œuvres complètes de Blaise Pascal Hachette 1871, vol1.djvu/263

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et des sollicitations fort pressantes ; parce que l’on jugeoit bien qu’en donnant ces écrits en l’état où ils étoient, on ne pouvoit pas remplir l’attente et l’idée que tout le monde avoit de cet ouvrage, dont on avoit déjà beaucoup entendu parler.

Mais enfin on fut obligé de céder à l’impatience et au grand désir que tout le monde témoignoit de les voir imprimés. Et l’on s’y porta d’autant plus aisément, que l’on crut que ceux qui les liraient seroient assez équitables pour faire le discernement d’un dessein ébauché d’avec une pièce achevée, et pour juger de l’ouvrage par l’échantillon, quelque imparfait qu’il fût. Et ainsi l’on se résolut de le donner au public. Mais comme il y avoit plusieurs manières de l’exécuter, l’on a été quelque temps à se déterminer sur celle que l’on devoit prendre.

La première qui vint dans l’esprit, et celle qui étoit sans doute la plus facile, étoit de les faire imprimer tout de suite dans le même état où on les avoit trouvés. Mais l’on jugea bientôt que, de le faire de cette sorte, c’eût été perdre presque tout le fruit qu’on en pouvoit espérer, parce que les pensées plus suivies, plus claires et plus étendues, étant mêlées et comme absorbées parmi tant d’autres à demi digérées, et quelques-unes même presque inintelligibles à tout autre qu’à celui qui les avoit écrites, il y avoit tout sujet de croire que les unes feroient rebuter les autres, et que l’on ne considéreroit ce volume, grossi inutilement de tant de pensées imparfaites, que comme un amas confus, sans ordre, sans suite, et qui ne pouvoit servir à rien.

Il y avoit une autre manière de donner ces écrits au public, qui étoit d’y travailler auparavant, d’éclaircir les pensées obscures, d’achever celles qui étoient imparfaites ; et, en prenant dans tous ces fragmens le dessein de l’auteur, de suppléer en quelque sorte l’ouvrage qu’il vouloit faire. Cette voie eût été assurément la meilleure ; mais il étoit aussi très-difficile de la bien exécuter. L’on s’y est néanmoins arrêté assez longtemps, et l’on avoit en effet commencé à y travailler. Mais enfin on s’est résolu de la rejeter aussi bien que la première, parce que l’on a considéré qu’il étoit presque impossible de bien entrer dans la pensée et dans le dessein d’un auteur, et surtout d’un auteur tel que Pascal ; et que ce n’eût pas été donner son ouvrage, mais un ouvrage tout différent.

Ainsi, pour éviter les inconvéniens qui se trouvoient dans l’une et l’autre de ces manières de faire paraître ces écrits, on en a choisi une entre deux, qui est celle que l’on a suivie dans ce recueil. On a pris seulement parmi ce grand nombre de pensées celles qui ont paru les plus claires et les plus achevées ; et on les donne telles qu’on les a trouvées, sans y rien ajouter ni changer ; si ce n’est qu’au lieu qu’elles étoient sans suite, sans liaison, et dispersées confusément de côté et d’autre, on les a mises dans quelque sorte d’ordre, et réduit sous les mêmes titres celles qui étoient sur les mêmes sujets ; et l’on a supprimé toutes les autres qui étoient ou trop obscures, ou trop imparfaites.

Ce n’est pas qu’elles ne continssent aussi de très-belles choses, et qu’elles ne fussent capables de donner de grandes vues à ceux qui les entendraient bien. Mais comme on ne vouloit pas travailler à les éclaircir et à les achever, elles eussent été entièrement inutiles en l’état où elles sont. Et afin que l’on en ait quelque idée, j’en rapporterai ici seulement une pour servir d’exemple ; et par laquelle on pourra juger de toutes les autres que l’on a retranchées. Voici donc quelle est cette pensée, et en quel état on l’a trouvée parmi ces fragmens : « Un artisan qui parle des richesses, un procureur qui parle de la guerre, de la