Page:Œuvres complètes de Blaise Pascal Hachette 1871, vol1.djvu/283

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sait qu’on tire souvent les mêmes conséquences des suppositions différentes.

Cela suffit pour embrouiller au moins la matière ; non que cela éteigne absolument la clarté naturelle qui nous assure de ces choses, les académiciens auraient gagné ; mais cela la ternit, et trouble les dogmatistes, à la gloire de la cabale pyrrhonienne, qui consiste à cette ambiguïté ambiguë, et dans une certaine obscurité douteuse, dont nos doutes ne peuvent ôter toute la clarté, ni nos lumières naturelles en chasser toutes les ténèbres.


22.

Quand nous voyons un effet arriver toujours de même, nous en concluons une nécessité naturelle, comme, qu’il sera demain jour, etc. ; mais souvent la nature nous dément, et ne s’assujettit pas à ses propres règles.


23.

Contradiction est une mauvaise marque de vérité.

Plusieurs choses certaines sont contredites, plusieurs fausses passent sans contradiction : ni la contradiction n’est marque de fausseté, ni l’incontradiction n’est marque de vérité.


24.

Quand on est instruit, on comprend que la nature ayant gravé son image et celle de son auteur dans toutes choses, elles tiennent presque toutes de sa double infinité. C’est ainsi que nous voyons que toutes les sciences sont infinies en l’étendue de leurs recherches ; car qui doute que la géométrie, par exemple, a une infinité d’infinités de propositions à exposer ? Elles sont aussi infinies dans la multitude et la délicatesse de leurs principes ; car qui ne voit que ceux qu’on propose pour les derniers ne se soutiennent pas d’eux-mêmes, et qu’ils sont appuyés sur d’autres qui, en ayant d’autres pour appui, ne souffrent jamais de dernier ?

Mais nous faisons des derniers qui paroissent à la raison comme on fait dans les choses matérielles, où nous appelons un point indivisible celui au delà duquel nos sens n’aperçoivent plus rien, quoique divisible infiniment et par sa nature.

De ces deux infinis de sciences, celui de grandeur est bien plus sensible, et c’est pourquoi il est arrivé à peu de personnes de prétendre connoître toutes choses. « Je vais parler de tout, » disoit Démocrite.

Mais l’infinité en petitesse est bien moins visible. Les philosophes ont bien plutôt prétendu d’y arriver ; et c’est là où tous ont achoppé. C’est ce qui a donné lieu à ces titres si ordinaires, Des principes des choses, Des principes de la philosophie, et aux semblables, aussi fastueux en effet, quoique non en apparence, que cet autre qui crève les yeux, De omni scibili.

Ne cherchons donc point d’assurance et de fermeté. Notre raison est toujours déçue par l’inconstance des apparences ; rien ne peut fixer le fini entre les deux infinis qui l’enferment et le fuient.

Cela étant bien compris, je crois qu’on se tiendra en repos, chacun dans l’état où la nature l’a placé. Ce milieu qui nous est échu en par-