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VIE DE BLAISE PASCAL.

aussi par le nez et par la bouche. Et cette fistule étoit d’une si mauvaise qualité, que les plus habiles chirurgiens de Paris la jugeoient incurable. Cependant elle fut guérie en un moment par l’attouchement de la sainte épine[1] ; et ce miracle fut si authentique, qu’il a été avoué de tout le monde, ayant été attesté par de très-grands médecins et par les plus habiles chirurgiens de France, et ayant été autorisé par un jugement solennel de l’Église.

Mon frère fut sensiblement touché de cette grâce, qu’il regardoit comme faite à lui-même, puisque c’étoit sur une personne qui, outre sa proximité, étoit encore sa fille spirituelle dans le baptême ; et sa consolation fut extrême de voir que Dieu se manifestoit si clairement dans un temps où la foi paroissoit comme éteinte dans le cœur de la plupart du monde. La joie qu’il en eut fut si grande, qu’il en étoit pénétré ; de sorte qu’en ayant l’esprit tout occupé, Dieu lui inspira une infinité de pensées admirables sur les miracles, qui, lui donnant de nouvelles lumières sur la religion, lui redoublèrent l’amour et le respect qu’il avoit toujours eus pour elle[2].

Et ce fut cette occasion qui fit paroître cet extrême désir qu’il avoit de travailler à réfuter les principaux et les plus faux raisonnemens des athées. Il les avoit étudiés avec grand soin, et avoit employé tout son esprit à chercher tous les moyens de les convaincre. C’est à quoi il s’étoit mis tout entier. La dernière année de son travail a été toute employée à recueillir diverses pensées sur ce sujet : mais Dieu, qui lui avoit inspiré ce dessein et toutes ces pensées, n’a pas permis qu’il l’ait conduit à sa perfection, pour des raisons qui nous sont inconnues.

Cependant l’éloignement du monde, qu’il pratiquoit avec tant de soin, n’empêchoit point qu’il ne vît souvent des gens de grand esprit et de grande condition, qui, ayant des pensées de retraite, demandoient ses avis et les suivoient exactement ; et d’autres qui étoient travaillés de doutes sur les matières de la foi, et qui, sachant qu’il avoit de grandes lumières là-dessus, venoient à lui le consulter, et s’en retournoient toujours satisfaits ; de sorte que toutes ces personnes, qui vivent présentement fort chrétiennement, témoignent encore aujourd’hui que c’est à ses avis et à ses conseils, et aux éclaircissemens qu’il leur a donnés, qu’ils sont redevables de tout le bien qu’ils font.

Les conversations auxquelles il se trouvoit souvent engagé ne laissoient pas de lui donner quelque crainte qu’il ne s’y trouvât du péril ; mais comme il ne pouvoit pas aussi en conscience refuser le secours que des personnes lui demandoient, il avoit trouvé un remède à cela. Il prenoit dans les occasions une ceinture de fer pleine de pointes, il la mettoit à nu sur sa chair ; et lorsqu’il lui venoit quelque pensée de vanité, ou qu’il prenoit quelque plaisir au lieu où il étoit, ou quelque chose semblable, il se donnoit des coups de coude pour redoubler la violence des piqûres, et se faisoit ainsi souvenir lui-même de son devoir. Cette pratique lui parut si utile qu’il la conserva jusqu’à la mort, et même,

  1. Cette sainte épine est au Port-Royal du faubourg Saint-Jacques, à Paris.
  2. Voy., sur le miracle de la sainte épine, l’Abrégé de l’histoire de Port-Royal, par Racine, Ire part., édit. Ch. Lahure, t. II, p. 53 et suiv.