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qui ont cette disposition dans le cœur, et qui ont cette connoissance de leur devoir et de leur incapacité.


8.

Ceux que nous voyons chrétiens sans la connoissance des prophéties et des preuves ne laissent pas d’en juger aussi bien que ceux qui ont cette connoissance. Ils en jugent par le cœur, comme les autres en jugent par l’esprit. C’est Dieu lui-même qui les incline à croire ; et ainsi ils sont très-efficacement persuadés[1].

J’avoue bien qu’un de ces chrétiens qui croient sans preuves n’aura peut-être pas de quoi convaincre un infidèle qui en dira, autant de soi. Mais ceux qui savent les preuves de la religion prouveront sans difficulté que ce fidèle est véritablement inspiré de Dieu, quoiqu’il ne pût le prouver lui-même. Car Dieu ayant dit dans ses prophètes (qui sont indubitablement prophètes[2]) que dans le règne de Jésus-Christ il répandroit son esprit sur les nations, et que les fils, les filles et les enfans de l’Église prophétiseroient, il est sans doute que l’esprit de Dieu est sur ceux-là, et qu’il n’est point sur les autres.




ARTICLE XIV.[3]


1.

Nous sommes plaisans de nous reposer dans la société de nos semblables. Misérables comme nous, impuissans comme nous, ils ne nous aideront pas ; on mourra seul ; il faut donc faire comme si on étoit seul ; et alors, bâtiroit-on des maisons superbes, etc. ? On chercheroit la vérité sans hésiter ; et si on le refuse, on témoigne estimer plus l’estime des hommes, que la recherche de la vérité.

... Voilà ce que je vois et ce qui me trouble. Je regarde de toutes parts, et ne vois partout qu’obscurité. La nature ne m’offre rien qui ne soit matière de doute et d’inquiétude. Si je n’y voyois rien qui marquât une Divinité, je me déterminerois à n’en rien croire. Si je voyois partout les marques d’un Créateur, je reposerois en paix dans la foi. Mais, voyant trop pour nier, et trop peu pour m’assurer, je suis dans un état à plaindre, et où j’ai souhaité cent fois que, si un Dieu la soutient, elle le marquât sans équivoque ; et que, si les marques qu’elle en donne sont trompeuses, elle les supprimât tout à fait ; qu’elle dît tout ou rien, afin que je visse quel parti je dois suivre. Au lieu qu’en l’état où je suis, ignorant ce que je suis et ce que je dois faire, je ne

  1. Pascal avait d’abord écrit cette phrase, qu’il a barrée : « On répondra que les infidèles diront la même chose ; mais je réponds à cela que nous avons des preuves que Dieu incline véritablement ceux qu’il aime à croire la religion chrétienne, et que les infidèles n’ont aucune preuve de ce qu’ils disent : et ainsi nos propositions étant semblables dans les termes, elles diffèrent en ce que l’une est sans aucune preuve, et l’autre est solidement prouvée. »
  2. Joël, II, 28.
  3. Article VII de la seconde partie, dans Bossut.