Page:Œuvres complètes de Blaise Pascal Hachette 1871, vol1.djvu/345

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

choses visibles. Comme la nature est une image de la grâce, il a fait dans les biens de la nature ce qu’il devoit faire dans ceux de la grâce, afin qu’on jugeât qu’il pouvoit faire l’invisible, puisqu’il faisoit bien le visible. Il a donc sauvé ce peuple du déluge ; il l’a fait naître d’Abraham, il l’a racheté d’entre ses ennemis, et l’a mis dans le repos.

L’objet de Dieu n’étoit pas de sauver du déluge, et de faire naître tout un peuple d’Abraham, pour ne l’introduire que dans une terre grasse. Et même la grâce n’est que la figure de la gloire[1], car elle n’est pas la dernière fin. Elle a été figurée par la loi, et figure elle-même la gloire ; mais elle en est la figure, et le principe ou la cause.

La vie ordinaire des hommes est semblable à celle des saints. Ils recherchent tous leur satisfaction, et ne diffèrent qu’en l’objet où ils la placent. Ils appellent leurs ennemis ceux qui les en empêchent, etc. Dieu a donc montré le pouvoir qu’il a de donner les biens invisibles, par celui qu’il a montré qu’il avoit sur les choses visibles.


3.

Figures. — Dieu voulant priver les siens des biens périssables, pour montrer que ce n’étoit pas par impuissance, il a fait le peuple juif.

Les juifs avoient vieilli dans ces pensées terrestres, que Dieu aimoit leur père Abraham, sa chair et ce qui en sortiroit ; que pour cela il les avoit multipliés et distingués de tous les autres peuples, sans souffrir qu’ils s’y mêlassent ; que, quand ils languissoient dans l’Égypte, il les en retira avec tous ses grands signes en leur faveur ; qu’il les nourrit de la manne dans le désert ; qu’il les mena dans une terre bien grasse ; qu’il leur donna des rois et un temple bien bâti pour y offrir des bêtes, et par le moyen de l’effusion de leur sang qu’ils seroient purifiés, et qu’il leur devoit enfin envoyer le Messie pour les rendre maîtres de tout le monde. Et il a prédit le temps de sa venue.

Le monde ayant vieilli dans ces erreurs charnelles, Jésus-Christ est venu dans le temps prédit, mais non pas dans l’éclat attendu ; et ainsi ils n’ont pas pensé que ce fût lui. Après sa mort, saint Paul est venu apprendre aux hommes que toutes ces choses étoient arrivées en figures ; que le royaume de Dieu ne consistoit pas en la chair, mais en l’esprit ; que les ennemis des hommes n’étoient pas les Babyloniens, mais leurs passions ; que Dieu ne se plaisoit pas aux temples faits de main d’hommes, mais en un cœur pur et humilié ; que la circoncision du corps étoit inutile, mais qu’il falloit celle du cœur ; que Moïse ne leur avoit pas donné le pain du ciel, etc.


4.

Mais Dieu n’ayant pas voulu découvrir ces choses à ce peuple, qui en étoit indigne, et ayant voulu néanmoins les prédire afin qu’elles fussent crues, en avoit prédit le temps clairement, et les avoit même quelquefois exprimées clairement, mais abondamment en figures, afin que ceux qui aimoient les choses figurantes s’y arrêtassent, et que ceux qui aimoient les figurées les y vissent[2].

  1. La gloire, c’est l’état glorieux des élus dans le ciel.
  2. Pascal a écrit ici dans l’interligne : « Je ne dis pas bien. »