Page:Œuvres complètes de Blaise Pascal Hachette 1871, vol1.djvu/390

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les faire tenir debout et fermes dans les porches de la sainte Hiérusalem, où l’orgueil ne pourra plus les combattre et les abattre ; et qui cependant pleurent, non pas de voir écouler toutes les choses périssables que les torrens entraînent, mais dans le souvenir de leur chère patrie, de la Hiérusalem céleste, dont ils se souviennent sans cesse dans la longueur de leur exil[1] !


34.

« Un miracle, dit-on, affermiroit ma créance. » On le dit quand on ne le voit pas. Les raisons qui, étant vues de loin, paroissent borner notre vue, mais quand on y est arrivé, on commence à voir encore au delà. Rien n’arrête la volubilité de notre esprit. Il n’y a point, dit-on, de règle qui n’ait quelque exception, ni de vérité si générale qui n’ait quelque face par où elle manque. Il suffit qu’elle ne soit pas absolument universelle, pour nous donner sujet d’appliquer l’exception au sujet présent, et de dire : « Cela n’est pas toujours vrai ; donc il y a des cas où cela n’est pas. » Il ne reste plus qu’à montrer que celui-ci en est ; et c’est à quoi on est bien maladroit ou bien malheureux si on n’y trouve quelque jour.


35.

Histoire de la Chine. — Je ne crois que les histoires dont les témoins se feroient égorger.

Il n’est pas question de voir cela en gros. Je vous dis qu’il y a de quoi aveugler et de quoi éclairer. Par ce mot seul, je ruine tous vos raisonnemens. « Mais la Chine obscurcit, » dites-vous ; et je réponds : « La Chine obscurcit, » mais il y a clarté à trouver ; cherchez-la. Ainsi tout ce que vous dites fait à un des desseins, et rien contre l’autre. Ainsi cela sert, et ne nuit pas. Il faut donc voir cela en détail, il faut mettre papiers sur table.


36.

La charité n’est pas un précepte figuratif. Dire que Jésus-Christ, qui est venu ôter les figures pour mettre la vérité, ne soit venu que mettre la figure de la charité, pour ôter la réalité qui étoit auparavant, cela est horrible. Si la lumière est ténèbres, que seront les ténèbres ?


37.

Combien les lunettes nous ont-elles découvert d’êtres qui n’étoient point pour nos philosophes d’auparavant ! On entreprenoit méchamment l’Écriture sainte sur le grand nombre des étoiles, en disant : « Il n’y en a que mille vingt-deux[2], nous le savons. »


38.

L’homme est ainsi fait, qu’à force de lui dire qu’il est un sot, il le croit ; et, à force de se le dire à soi-même, on se le fait croire. Car l’homme fait lui seul une conversation intérieure, qu’il importe de bien régler : Corrumpunt mores bonos colloquiæ prava[3]. Il faut se tenir en

  1. On lit encore p. 85 du manuscrit : « Les fleuves de Babylone coulent, et tombent, et entraînent. O sainte Sion, où tout est stable et où rien ne tombe ! »
  2. Il n’y a que mille vingt-deux étoiles dans le catalogue de Ptolémée.
  3. I Cor., xv, 33.