Page:Œuvres complètes de Blaise Pascal Hachette 1871, vol1.djvu/393

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miers sont raisonnables et heureux ; les derniers sont fous et malheureux ; ceux du milieu sont malheureux et raisonnables.


51.

Les hommes prennent souvent leur imagination pour leur cœur ; et ils croient être convertis dès qu’ils pensent à se convertir.


52.

La raison agit avec lenteur, et avec tant de vues, sur tant de principes lesquels il faut qu’ils soient toujours présens, qu’à toute heure elle s’assoupit et s’égare, manque d’avoir tous ses principes présens. Le sentiment n’agit pas ainsi : il agit en un instant, et toujours est prêt à agir. Il faut donc mettre notre foi dans le sentiment, autrement elle sera toujours vacillante.


53.

L’homme est visiblement fait pour penser ; c’est toute sa dignité et tout son mérite ; et tout son devoir est de penser comme il faut : et l’ordre de la pensée est de commencer par soi, et par son auteur et sa fin. Or à quoi pense le monde ? Jamais à cela ; mais à danser, à jouer du luth, à chanter, à faire des vers, à courir la bague, etc., à se bâtir, à se faire roi, sans penser à ce que c’est qu’être roi, et qu’être homme.

Pensée. — Toute la dignité de l’homme est en la pensée. Mais qu’estce que cette pensée ? qu’elle est sotte[1] !


54.

S’il y a un Dieu, il ne faut aimer que lui, et non les créatures passagères. Le raisonnement des impies, dansla Sagesse, n’est fondé que sur ce qu’il n’y a point de Dieu. aCela posé, disent-ils, jouissons donc des créatures. » C’est le pis aller. Mais s’il y avoit un Dieu à aimer, ils n’auroient pas conclu cela, mais le contraire. Et c’est la conclusion des sages : « Il y a un Dieu, ne jouissons donc pas des créatures. » Donc tout ce qui incite à nous attacher aux créatures est mauvais, puisque cela nous empêche, ou de servir Dieu, si nous le connoissons, ou de le chercher, si nous l’ignorons. Or, nous sommes pleins de concupiscence : donc nous sommes pleins de mal ; donc nous devons nous haïr nous-mêmes, et tout ce qui nous excite à autre attache que Dieu seul.


55.

Quand nous voulons penser à Dieu, n’y a-t —il rien qui nous détourne, nous tente de penser ailleurs ? Tout cela est mauvais et né avec nous.


56.

Il est faux que nous soyons dignes que les autres nous aiment : il est injuste que nous le voulions. Si nous naissions raisonnables, et indiffé-

  1. Pascal avait écrit d’abord : « Toute la dignité de l’homme est en la pensée. La pensée est donc une chose admirable et incomparable par sa nature. Il falloit qu’elle eût d’étranges défauts pour être méprisable. Mais elle en a de tels, que rien n’est plus ridicule. Qu’elle est grande par sa nature ! qu’elle est basse par ses défauts ! »