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VIE DE BLAISE PASCAL.

tes jusqu’à la fin ; car, peu de temps avant sa mort, ayant été offensé dans une partie qui lui étoit fort sensible, par une personne qui lui avoit de grandes obligations, et ayant en même temps reçu un service de cette personne, il la remercia avec tant de complimens et de civilités, qu’il en étoit confus : cependant ce n’étoit pas par oubli, puisque c’étoit dans le même temps ; mais c’est qu’en effet il n’avoit point de ressentiment pour les offenses qui ne regardoient que sa personne.

Toutes ces inclinations, dont j’ai remarqué les particularités, se verront mieux en abrégé par une peinture qu’il a faite de lui-même dans un petit papier écrit de sa main en cette manière :

« J’aime la pauvreté, parce que Jésus-Christ l’a aimée. J’aime les biens, parce qu’ils donnent le moyen d’en assister les misérables. Je garde fidélité à tout le monde. Je ne rends pas le mal à ceux qui m’en font, mais je leur souhaite une condition pareille à la mienne, où l’on ne reçoit pas de mal ni de bien de la part des hommes, et j’ai une tendresse de cœur pour ceux que Dieu m’a unis plus étroitement ; et soit que je sois seul, ou à la vue des hommes, j’ai en toutes mes actions la vue de Dieu qui doit les juger, et à qui je les ai toutes consacrées. Voilà quels sont mes sentimens ; et je bénis tous les jours de ma vie mon Rédempteur qui les a mis en moi, et qui, d’un homme plein de foiblesse, de misère, de concupiscence, d’orgueil et d’ambition, a fait un homme exempt de tous ces maux par la force de sa grâce, à laquelle toute la gloire en est due, n’ayant de moi que la misère et l’erreur. »

Il s’étoit ainsi dépeint lui-même, afin qu’ayant continuellement devant les yeux la voie par laquelle Dieu le conduisoit, il ne pût jamais s’en détourner. Les lumières extraordinaires jointes à la grandeur de son esprit n’empêchoient pas une simplicité merveilleuse qui paroissoit dans toute la suite de sa vie, et qui le rendoit exact à toutes les pratiques qui regardoient la religion. Il avoit un amour sensible pour l’office divin, mais surtout pour les petites Heures, parce qu’elles sont composées du psaume CXVIII, dans lequel il trouvoit tant de choses admirables, qu’il sentoit de la délectation à le réciter. Quand il s’entretenoit avec ses amis de la beauté de ce psaume, il se transportoit en sorte qu’il paroissoit hors de lui-même ; et cette méditation l’avoit rendu si sensible à toutes les choses par lesquelles on tâche d’honorer Dieu, qu’il n’en négligeoit pas une. Lorsqu’on lui envoyoit des billets tous les mois, comme on fait en beaucoup de lieux[1], il les recevoit avec un respect admirable ; il en récitoit tous les jours la sentence ; et dans les quatre dernières années de sa vie, comme il ne pouvoit travailler, son principal divertissement étoit d’aller visiter les églises où il y avoit des reliques exposées, ou quelque solennité ; et il avoit pour cela un almanach spirituel qui l’instruisoit des lieux où il y avoit des dévotions particulières ; et il faisoit tout cela si dévotement et si simplement, que ceux qui le voyoient en étoient surpris : ce qui a donné lieu à cette belle

  1. C’était l’usage de plusieurs communautés, et entre autres, de celle de Port-Royal, d’envoyer tous les mois à certaines personnes des billets contenant une sentence et un sujet de méditation.