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VIE DE BLAISE PASCAL.

parole d’une personne très-vertueuse et très-éclairée, que la grâce de Dieu se fait connoître dans les grands esprits par les petites choses, et dans les esprits communs par les grandes.

Cette grande simplicité paroissoit lorsqu’on lui parloit de Dieu, ou de lui-même : de sorte que, la veille de sa mort, un ecclésiastique qui est un homme d’une très-grande vertu[1] l’étant venu voir, comme il l’avoit souhaité, et ayant demeuré une heure avec lui, il en sortit si édifié, qu’il me dit : « Allez, consolez-vous, si Dieu l’appelle, vous avez bien sujet de le louer des grâces qu’il lui fait. J’avois toujours admiré beaucoup de grandes choses en lui, mais je n’y avois jamais remarqué la grande simplicité que je viens de voir : cela est incomparable dans un esprit tel que le sien ; je voudrois de tout mon cœur être en sa place. »

M. le curé de Saint-Étienne[2], qui l’a vu dans sa maladie, y voyoit la même chose, et disoit à toute heure : « C’est un enfant, il est humble, il est soumis comme un enfant. » C’est par cette même simplicité qu’on avoit une liberté tout entière pour l’avertir de ses défauts, et il se rendoit aux avis qu’on lui donnoit, sans résistance. L’extrême vivacité de son esprit le rendoit quelquefois si impatient qu’on avoit peine à le satisfaire ; mais, quand on l’avertissoit, ou qu’il s’apercevoit qu’il avoit fâché quelqu’un dans ses impatiences, il réparoit incontinent cela par des traitemens si doux et par tant de bienfaits, que jamais il n’a perdu l’amitié de personne par là. Je tâche tant que je puis d’abréger sans cela j’aurois bien des particularités à dire sur chacune des choses que j’ai remarquées ; mais, comme je ne veux pas m’étendre, je viens à sa dernière maladie.

Elle commença par un dégoût étrange qui lui prit deux mois avant sa mort : son médecin lui conseilla de s’abstenir de manger du solide, et de se purger ; pendant qu’il étoit en cet état, il fit une action de charité bien remarquable. Il avoit chez lui un bon homme avec sa femme et tout son ménage, à qui il avoit donné une chambre, et à qui il fournissoit du bois, tout cela par charité ; car il n’en tiroit point d’autre service que de n’être point seul dans sa maison. Ce bon homme avoit un fils, qui étant tombé malade, en ce temps-là, de la petite vérole, mon frère, qui avoit besoin de mes assistances, eut peur que je n’eusse de l’appréhension d’aller chez lui à cause de mes enfans. Cela l’obligea à penser de se séparer de ce malade ; mais, comme il craignoit qu’il ne fût en danger si on le transportoit en cet état hors de sa maison, il aima mieux en sortir lui-même, quoiqu’il fût déjà fort mal, disant : « Il y a moins de danger pour moi dans ce changement de demeure : c’est pourquoi il faut que ce soit moi qui quitte. » Ainsi il sortit de sa maison le 29 juin, pour venir chez nous, et il n’y rentra jamais ; car trois jours après il commença d’être attaqué d’une colique très-violente qui lui ôtoit absolument le sommeil. Mais comme il avoit une grande force d’esprit et un grand courage, il enduroit ses douleurs avec une patience admirable. Il ne laissoit pas de se lever tous les jours et de prendre lui-même ses remèdes, sans vouloir souffrir qu’on lui rendît le moindre

  1. M. deSainte Marthe.
  2. Le P. Beurrier, depuis abbé de Sainte-Geneviève.