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LETTRES PROVINCIALES.

ce n’est pas de quoi nous disputons ; mais ils ne vous diront pas que ce pouvoir soit prochain : c’est là le point. »

Ce mot me fut nouveau et inconnu. Jusque-là j’avois entendu les affaires ; mais ce terme me jeta dans l’obscurité, et je crois qu’il n’avoit été inventé que pour brouiller. Je lui en demandai donc l’explication ; mais il m’en fit un mystère, et me renvoya, sans autre satisfaction, pour demander aux jansénistes s’ils admettoient ce pouvoir prochain. Je chargeai ma mémoire de ce terme ; car mon intelligence n’y avoit aucune part. Et de peur de l’oublier, je fus promptement retrouver mon janséniste, à qui je dis incontinent, après les premières civilités : « Dites-moi, je vous prie, si vous admettez le pouvoir prochain. » Il se mit à rire, et me dit froidement : « Dites-moi vous-même en quel sens vous l’entendez ; et alors je vous dirai ce que j’en crois. » Comme ma connoissance n’alloit pas jusque-là, je me vis en terme de ne lui pouvoir répondre ; et néanmoins, pour ne pas rendre ma visite inutile, je lui dis au hasard : « Je l’entends au sens des molinistes. » À quoi mon homme, sans s’émouvoir : « Auxquels des molinistes, me dit-il, me renvoyez-vous ? » Je les lui offris tous ensemble, comme ne faisant qu’un même corps et n’agissant que par un même esprit.

Mais il me dit : « Vous êtes bien peu instruit. Ils sont si peu dans les mêmes sentimens, qu’ils en ont de tout contraires. Étant tous unis dans le dessein de perdre M. Arnauld, ils se sont avisés de s’accorder de ce terme de prochain, que les uns et les autres diroient ensemble, quoiqu’ils l’entendissent diversement, afin de parler un même langage, et que, par cette conformité apparente, ils pussent former un corps considérable, et composer un plus grand nombre, pour l’opprimer avec assurance. »

Cette réponse m’étonna ; mais, sans recevoir ces impressions des méchans desseins des molinistes, que je ne veux pas croire sur sa parole, et où je n’ai point d’intérêt, je m’attachai seulement à savoir les divers sens qu’ils donnent à ce mot mystérieux de prochain. Il me dit : « Je vous en éclaircirois de bon cœur ; mais vous y verriez une répugnance et une contradiction si grossière, que vous auriez peine à me croire. Je vous serois suspect. Vous en serez plus sûr en l’apprenant d’eux-mêmes, et je vous en donnerai les adresses. Vous n’avez qu’à voir séparément un nommé M. Le Moine et le P. Nicolaï. — Je ne connois ni l’un ni l’autre, lui dis-je. — Voyez donc, me dit-il, si vous ne connoîtrez point quelqu’un de ceux que je vous vas nommer ; car ils suivent les sentimens de M. Le Moine. » J’en connus en effet quelques-uns. Et ensuite il me dit : « Voyez si vous ne connoissez point des dominicains, qu’on appelle nouveaux thomistes ; car ils sont tous comme le P. Nicolaï. » J’en connus aussi entre ceux qu’il me nomma ; et, résolu de profiter de cet avis et de sortir d’affaire, je le quittai, et allai d’abord chez un des disciples de M. Le Moine.

Je le suppliai de me dire ce que c’étoit qu’avoir le pouvoir prochain de faire quelque chose. « Cela est aisé, me dit-il ; c’est avoir tout ce qui est nécessaire pour la faire, de telle sorte qu’il ne manque rien pour agir. — Et ainsi, lui dis-je, avoir le pouvoir prochain de passer une