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INTRODUCTION

et perfides paroles. Un homme aimé paraît toujours si charmant ! Quelle femme est assez généreuse pour dédaigner la conquête d’un homme qu’elle sait être passionnément aimé ?

Et quel homme, quel parent même est assez généreux pour ne pas médire devant une femme de celui qu’elle aime, lors même qu’elle l’aime légitimement ? Et la lutte s’engage terrible, et le bonheur est à jamais détruit. Et si par hasard l’amour résiste à tant de rage, s’il est tellement dévoué, exclusif, que rien ne puisse d’altérer, alors c’est le destin lui-même qui vient vous poursuivre de ses coups : les revers les plus cruels vous accablent ; l’exil, la ruine, le devoir fatal, vous séparent violemment… Enfin, si l’amour courageux brave encore de tels coups, s’il affronte l’exil, la ruine, s’il brave tout jusqu’au devoir, si la flamme du cœur est tellement ardente que rien ne puisse l’éteindre, c’est la mort, la jalouse mort elle-même qui se charge de l’étouffer.

L’amour ne peut vivre que par la souffrance ; il cesse avec le bonheur, car l’amour heureux, c’est la perfection des plus beaux rêves, et toute chose parfaite ou perfectionnée, touche à sa fin. Oh ! l’amour lui-même a bien l’instinct de sa durée : il sait qu’il doit se nourrir de tourments, et il est ingénieux à se créer sans cesse des aliments nouveaux ; il sait que les tourments sont les garants de sa durée, et il invente mille peines afin de vivre plus longtemps ; il sait qu’aux yeux du destin ses joies sublimes sont des privilèges injustes, et il se hâte de les expier par des supplices qu’il s’impose afin de se les faire pardonner ; il s’inflige des tourments artificiels qu’il choisit pour écarter les malheurs réels qu’il redoute ; il se fait jaloux sans sujet, de peur de l’être avec justice ; il s’inquiète follement devant des périls imaginaires, pour éloigner l’affreux moment d’un trop véritable danger ; il se plaît à faire couler des pleurs inutiles et qu’il peut arrêter d’un seul mot, pour tarir les larmes amères de l’absence et de l’abandon. Souvent, hélas ! ceux qui aiment vont jusqu’à trahir leur amour pour le sauver en le profanant…

Donc, la vérité ; la voici : c’est le contraire de ce qu’on invente.

Être aimé !… c’est vivre de tourments, c’est errer dans un