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LE VICOMTE DE LAUNAY.

et soyez tranquilles, l’univers ne le saura jamais ; votre obscurité vous protège ; vos secrets sont stériles, ils n’ont pas force de scandale, ils n’ont pas valeur de publicité, l’écho n’en voudrait pas, — car la célébrité, voyez-vous, n’est pas une bavarde vulgaire, une commère banale, c’est un écho qui choisit ; ainsi vous n’avez rien à craindre, et vous n’avez rien à dire non plus.

Il n’en est pas de même de ceux que le monde regarde ; ils ont raison de craindre, et c’est un bienfait ; il est bon que les gens qui prétendent nous mener sachent d’avance qu’un jour on leur demandera compte de leur itinéraire ; il est bon de raconter de temps en temps les actions de ceux qui ont agi, cela donne à penser à ceux qui agissent ; si nous savions d’avance que toutes nos œuvres seront un jour connues, il en est beaucoup peut-être dont nous nous priverions ; une clarté sans cesse menaçante peut prévenir bien des mauvaises actions. Castigat ridendo mores, cela n’est pas prouvé ; mais ce que ridendo ne peut faire, la publicité pourrait l’accomplir ; exemple : vous avez dans votre demeure un petit cabinet sombre ; il est toujours malpropre ; on y enfouit toutes les vieilleries de la maison ; que par une combinaison quelconque un architecte y fasse percer une fenêtre, le cabinet obscur se change en un boudoir charmant ; il en sera de même de nos vies : l’idée que toutes nos actions pourront être tôt ou tard connues agira malgré nous sur notre conduite, épurera nos pensées, ennoblira nos ambitions ; le public sera le juge terrestre que nous aurons toujours devant les yeux, comme les âmes ont toujours devant leurs regards le Juge sacré qui doit les condamner ou les absoudre ; oui, pour les âmes sans croyance, la publicité remplacera la confession. Ah ! c’est une belle découverte qu’une moralisation qui s’applique aux cœurs sans religion et sans conscience, car ceux-là seuls en ont besoin, n’est-ce pas ? La morale n’est faite que pour ceux qui n’en ont point ; la vertu n’est la vertu que pour ceux qui y manquent ; pour les autres, c’est la vérité.