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LE VICOMTE DE LAUNAY.

place avec avantage l’éternel turban de la maternité. Duprez a toujours la vogue ; la musique des Huguenots est si belle ! Duprez prononce si bien en chantant, qu’on s’aperçoit qu’il prononce mal. Ceci a l’air d’une absurdité, et pourtant rien de si facile à comprendre. Pourquoi Duprez dit-il dans Guillaume Tell : ô ma pâtrie ! je me sâcrifie ?… Cela est inutile ; un accent circonflexe n’ajoute rien au sentiment. Cette nouvelle clarté dans la prononciation, cette nouvelle habitude que nous devons à Duprez d’écouter les paroles joue parfois de cruels tours aux auteurs de libretti. Ainsi, par exemple, sans lui, nous n’aurions jamais remarqué ces mots, troisième acte des Huguenots : Quoi qu’il advienne et qu’il arrive ; nous aurons la discorde ou la guerre : On n’est plus en sûreté maintenant quand on écrit pour l’Opéra ; il faut prendre garde à ce qu’on dit. À présent, on risque d’être entendu.

L’Ambassadrice remplit toujours la salle de l’Opéra-Comique ; madame Damoreau, fatiguée d’avoir chanté cinquante-neuf fois de suite le même opéra, a trouvé, pour varier ce supplice, un ingénieux moyen dont s’amusent beaucoup les amateurs de l’orchestre qui sont dans le secret de ce tour de force : elle change chaque fois les roulades et les traits de son grand air ; et chaque fois cette difficulté, tous les jours plus grande et tous les jours plus heureusement vaincue, a tout le charme d’un plaisir nouveau et tout l’intérêt d’une gageure. La variété dans la constance ! n’est-ce pas le plus beau de tous les problèmes à résoudre ? être toujours le même et paraître toujours nouveau, voilà le grand secret de plaire et de fixer l’amour. Cela explique le succès des êtres capricieux. Il serait éternel, si par malheur le caprice n’avait aussi sa monotonie. Hélas ! le jour où l’on s’est dit : C’est du caprice, le prestige est détruit, on s’attend à tout, rien ne peut plus surprendre. Le caprice lui-même est prévu, on y compte, et il ne vous manque jamais ; alors il n’agit plus sur vous, il s’est déconsidéré à vos propres yeux par la régularité de son inconstance, vous n’y faites pas attention, vous le traitez sans conséquence, vous le traitez comme on traite les choses et les gens sur lesquels on croit pouvoir compter.

La salle du Gymnase, samedi dernier, ressemblait beaucoup