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LETTRES PARISIENNES (1837).

de la chambre, la loge des officiers de service, la loge du gouverneur de Paris, et vingt autres loges données par la faveur, demandées, retenues avec empressement, ou attendues avec patience par toute une population de grandes dames ou de hauts fonctionnaires, de bourgeoises coquettes ou de petits employés influents, qui se contentaient d’aller une ou deux fois par an à l’Opéra, gratis, dans une loge d’honneur, les uns par vanité, les autres par économie. Ce public-là était peu difficile sur le choix des spectacles ; lorsqu’une pièce l’avait ennuyé, il s’en consolait en songeant qu’il ne la reverrait plus ; c’est ce que fait encore aujourd’hui le public flottant ; il éprouve le regret d’être venu, mais il s’éloigne sans crainte pour l’avenir ; il sait bien qu’on ne l’y reprendra plus ; de là vient son indifférence : il est facile d’être indulgent lorsqu’on est désintéressé. Mais pour le public permanent, il n’en est pas de même ; on comprend qu’il soit incapable d’une si haute philosophie ; pour lui, un mauvais opéra c’est un hiver perdu ; un ballet absurde, c’est une année manquée ; pour lui, une soirée ennuyeuse se multiplie par vingt soirées ennuyeuses ; et s’il consent de bonne grâce à voir cent cinquante fois un chef-d’œuvre, et c’est beaucoup, il a le droit de se révolter lorsqu’on se prépare à lui offrir, le même nombre de fois, un ouvrage sans intérêt, sans talent, un opéra sans chanteur, ou un ballet sans danseuse. Un mauvais spectacle, quand toute une salle est louée d’avance, c’est un vol. De là vient le grand scandale de vendredi dernier ; de là vient que l’on entend de nos jours ce que jadis on n’avait jamais entendu, savoir, des sifflets à l’Opéra. Nous aurions bien quelques reproches à faire aux loges d’avant-scène, aux élégants qui parlent haut, qui ont une gaieté un peu trop sonore et des poses un peu trop avantageuses ; mais ils avaient raison cette fois, et nous réservons nos reproches pour un autre jour. D’ailleurs, il faut leur rendre justice ; s’ils se montrent sévères pour les mauvais ouvrages, ils sont pleins d’enthousiasme pour ceux qu’il faut admirer : ils attaquent les Mohicans en ennemis implacables, mais ils soutiennent les Huguenots en admirateurs passionnés ; ils applaudissent Duprez avec transport, mademoiselle Taglioni avec fureur. Les sifflets bruyants partent de leurs loges, c’est