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LE VICOMTE DE LAUNAY.

vrai, mais c’est de leurs loges aussi que tombent, aux jours des triomphes mérités, les couronnes et les bouquets.

On a beaucoup crié contre le ministère de ce qu’il venait de donner la croix à Simon le danseur ; on a eu tort. Si un danseur, dans une circonstance quelconque, mérite cette distinction, il est juste de la lui accorder. Donner la croix à un danseur n’est pas une faute ; mais rester danseur quand on est chevalier de la Légion d’honneur, c’est une inconvenance qui choque étrangement ; les grimaces et les gambades du sauvage, voire même les ronds de jambe et les pirouettes de l’homme civilisé, nuisent à la dignité de l’homme décoré ; les honneurs sont un fardeau qui rend les entrechats moins légers ; la gloire vit de privations : il faut savoir lui faire des sacrifices. « Noblesse oblige, » a dit M. le duc de Lévis ; il est de certains honneurs incompatibles avec de certains états : il faut choisir. Il est des triomphes ruineux, sans doute, mais dont il faut subir les conséquences, témoin ce serrurier des environs de Châteauroux, ruiné tout à coup pour avoir eu l’honneur de dîner à la table du roi des Français. Le brave homme s’en allait depuis des années de château en château, raccommodant les serrures, posant les sonnettes çà et là ; on le gardait trois ou quatre jours, le temps nécessaire pour faire son ouvrage ; on le faisait dîner à la cuisine, et puis on le renvoyait content. Mais quand on apprit qu’un haut grade dans la garde nationale l’avait amené jusqu’à Paris pour complimenter le nouveau roi des Français, qu’il avait dîné avec la reine et les princesses, avec les ministres et les ambassadeurs, on n’osa plus le faire dîner avec les femmes de chambre et les valets de pied ; on le respecta dans sa gloire : on fit venir un serrurier plus modeste, et il perdit toutes ses pratiques. Il avait de l’orgueil, il sut se résigner ; il sollicita l’emploi de garde champêtre, et maintenant, le sabre au côté, il se console de ne plus gagner d’argent, de n’avoir plus d’état, en disant avec orgueil qu’il a eu un soir, en sa vie, l’honneur de dîner à la table du roi. La gloire a des rigueurs qu’il faut savoir subir.

Si l’aspect de l’Opéra est triste, celui du Cirque des Champs-Élysées est déplorable ; mais aussi quel spectacle ! des danseurs de corde dans des paniers ; des petits enfants qui restent sur la