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LETTRES PARISIENNES (1837).

le nouveau est admis, mais à la condition qu’il ne changera rien. Il en est de même de la musique : on a accueilli Duprez, parce que Duprez est un grand talent et qu’il fait de l’argent, mais on ne l’imite pas ; on rend justice à sa méthode, mais on la respecte comme une originalité étrangère, et il ne vient à l’idée d’aucun des acteurs qui jouent avec lui de s’approprier ce genre nouveau, qui obtient tant de succès. Ah ! vous dites que nous sommes légers ! mais regardez nos modes, nos plaisirs et nos arts, et vous reconnaîtrez que, loin d’être un peuple changeant, nous sommes le peuple le plus constant du monde. Les Turcs ont quitté le turban, mais les Français ne quitteront jamais leur chapeau rond. En Espagne, les combats de taureau ont pu cesser quelque temps ; en France, les pirouettes ne cesseront jamais. Or ce n’est pas un peuple léger que celui dont les danses sont lugubres, dont les fantaisies sont invariables, dont les modes sont éternelles !


LETTRE VINGTIÈME.

Notre ennemi naturel. — Les coups d’État à la mode. — Tivoli et le Ranelagh.
— La Brasserie anglaise. — M. Viennet et M. d’Arlincourt.
27 juillet 1837.

Chaque animal a son ennemi naturel, savoir : un être plus fort que lui, qui vit à ses dépens, qui le guette, qui le poursuit, qui le tue et qui le mange ; et manger son ennemi, c’est réellement vivre à ses dépens. La mouche a pour ennemie l’araignée ; la colombe a pour ennemi le vautour ; la brebis, le loup ; la souris, le chat, et le chat, le marchand de peaux de lapin ; puis, au moral, la femme a pour ennemi l’homme, l’homme a pour ennemi le démon, le peuple a pour ennemi le philanthrope, le gouvernement a le publiciste, le poëte a le journaliste, et le journaliste a le Correcteur. Or, de tous les ennemis, le correcteur est le plus dangereux, car il n’y a aucun recours contre sa négligence ; la veille on ne peut prévoir ses coups, le lendemain on ne peut guérir ses blessures. L’errata est permis à l’auteur, l’auteur a un droit de carton qui le console et le justifie ; le feuilletoniste n’a rien pour se défendre : la bêtise qu’on lui fait