Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 4.djvu/163

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
157
LETTRES PARISIENNES (1837).

cus, excepté un : la lutte s’engagea de bleu à bleu, le combat dura longtemps ; plus d’un choc violent fut inutile, aucun des deux jouteurs n’était renversé. Cependant, l’heure du triomphe arriva ; le vainqueur bleu et le vainqueur rouge allèrent se faire couronner par M. le préfet de la Seine, qui leur passa autour du cou un grand cordon bleu et un grand cordon rouge, l’ordre de la Légion d’honneur et l’ordre du Saint-Esprit, moins les plaques, la gloire, les diamants et l’idée qu’on y attache. Parmi les alliés des vainqueurs, il y avait un homme vêtu d’un habit rose, dont la nuance heureuse attirait depuis longtemps notre attention. Cet homme portait un chapeau à trois cornes, une longue écharpe, et il avait un air si imposant et si sévère, que nous ne pouvions nous expliquer la gaieté et le zinzolin de sa parure ; tout à coup il se retourne vers nous, et nous devinons la vérité. C’était le porte-drapeau du camp rouge ; son étendard, mouillé par la pluie, avait déteint sur le côté droit de sa veste blanche, ce qui lui donnait l’air d’une glace panachée, fraise et vanille ; cette moitié d’habit rose nous a bien tourmenté pendant toute la cérémonie.

Le soir, le feu d’artifice obtint un succès d’enthousiasme ; la cascade de feu qui tombait du pont dans la rivière durait si longtemps, qu’on la croyait véritable. Les pavillons illuminés étaient superbes, leurs mille lanternes tricolores, agitées par les vents et réfléchies par les flots, produisaient un effet magique. C’était la décoration du troisième acte des Huguenots cent fois répétée. C’était charmant. La Seine, comme le matin, était couverte de barques ; mais ces barques étaient lumineuses et semblaient porter de fantastiques ombres. Les feux du Bengale éclairaient subitement la foule, et les spectateurs devenaient eux-mêmes le plus beau spectacle. Il y eut un mouvement d’oscillation bien rapide et bien amusant à observer. Tous les yeux étaient fixés sur le pont de la Concorde où se tirait le feu d’artifice ; du sein de la fumée tout à coup s’élève un ballon ; la nacelle enflammée éclate dans les airs, un chiffre de feu brille au milieu d’une couronne d’étoiles : 27. Grande admiration de la foule. Tous les regards appartenaient au ballon ; mais le vent le pousse violemment du côté opposé au feu d’artifice ; au même instant, et comme un bataillon bien dressé