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LE VICOMTE DE LAUNAY.

Non… — Eh bien ! il a un coup de soleil sur le nez. — Oh ! c’est affreux ; je connais cela, et je comprends toutes ses angoisses. — En vérité ! dit la jeune femme en souriant, je découvre que les hommes ont beaucoup plus de coquetterie que les femmes ; les hommes ne savent pas être laids. — Pardon, il y en a qui poussent cette science fort loin. — Oui, mais ceux-là se croient charmants ; je veux dire que les hommes ne savent ni vieillir, ni enlaidir. Moi, je sais très-bien que si j’avais un coup de soleil sur le nez, j’en rirais, je me résignerais à être laide pendant trois jours, je subirais ce destin très-courageusement ; je ne m’enfuirais pas comme fait mon cousin à chaque visite ; je ne vivrais pas loin du monde comme un sauvage ; enfin, il me semble qu’un coup de soleil ne changerait pas complètement mes habitudes, mes sentiments et mon caractère. — Un coup de soleil, dit l’oncle avec le plus malin sourire, peut-être, mais s’il y en avait deux ?… S’il y a concurrence de coups de soleil, si le second ne permet pas de soigner le premier, si… » Ce calembour laborieux parvint alors à notre intelligence. « Si le coup de soleil est un obstacle, disons-nous à notre tour, nous comprenons qu’on le maudisse comme tous les obstacles au bonheur : ce n’est pas une faiblesse que de s’affliger de ce qui empêche de plaire ; mais je croyais la duchesse de B… aux eaux d’Ems. — Ah ! vous avez deviné… — Oui, je devine assez facilement que lorsqu’on veut séduire, il est pénible d’avoir le nez rouge et le front jaune ; mais je croyais madame de B… bien loin d’ici ? — Non pas, elle est auprès de nous, chez sa tante, reprit la jeune femme, et c’est en allant la voir l’autre jour en plein midi, que notre héros a attrapé ce beau coup de soleil qui le sépare d’elle ; car il ne sort plus, il ne veut même pas se promener le soir, il prétend que l’air retarde la guérison de la brûlure ; il ne parle à personne, il ne rit plus, il passe tout son temps à lire, et il trouve mauvais tout ce qu’il lit. — En cela, il a peut-être raison. — Non, car hier je lui ai prêté Emmeline, d’Alfred de Musset. Vous savez comme c’est joli, gracieux, spirituel. Eh bien, il a jeté la Revue des Deux-Mondes sur la table en disant : « Ce Gilbert est absurde. » — Cela prouve qu’il n’a pas envie de l’imiter, mais cela ne dit pas que le livre l’ait ennuyé. À propos,