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LE VICOMTE DE LAUNAY.

des petits lacets ou des boutons de nacre ; c’est assez champêtre, mais il nous semble que l’heure est mal choisie : qui est-ce qui pense à acheter des petits lacets et des boutons de nacre à dix heures du soir ? Enfin, divers pauvres, infirmes ou musiciens, vous abordent au milieu d’une conversation animée en vous demandant l’aumône franchement ; car ceci est un problème que nous ne pouvons résoudre : chaque matin les journaux nous parlent de femmes, d’enfants, de vieillards condamnés pour cause de mendicité, et chaque jour nous sommes assaillis par des femmes, des enfants et des vieillards qui demandent l’aumône et qu’on n’arrête point. Certes, nous n’avons nulle envie de dénoncer ceux qui s’adressent à nous, mais nous voulons savoir pourquoi on arrête et l’on condamne les autres. Y a-t-il donc des pauvres privilégiés ? la mendicité a-t-elle donc aussi son monopole ? Nous avons fait encore une remarque qui nous inquiète : la population parisienne augmente d’une manière peu flatteuse pour la nation. Il y a aujourd’hui dans les rues plus de singes que de passants. Ces messieurs sont bien mis, il faut en convenir : les uns sont en uniforme, l’épée au côté, les autres en robe rouge ; ceux-ci en veste de chasse, ceux-là en redingote à la propriétaire. La tenue est convenable, sans doute ; ils vous saluent poliment, il y en a même qui vous présentent leur passe-port ; il y en a un surtout qui a très-bonne façon à cheval sur un chien caniche : on n’a rien à leur reprocher. Cependant, il vous est désagréable, lorsque vous ouvrez votre fenêtre, de trouver un singe que vous ne connaissez pas du tout, assis sur votre balcon ; ou bien, quand vous marchez tranquillement sur le trottoir, de sentir tout à coup un singe qui vient s’établir sur votre épaule. Cet abus ne saurait se tolérer : les hommes ressemblent souvent à des singes, c’est vrai ; mais jamais les singes ne ressemblent à des hommes, et l’autorité ne doit pas les confondre.

Une troisième observation nous inquiète encore pour le repos à venir de la capitale : les progrès que la musique fait en France sont effrayants. À Paris, maintenant, la journée est un concert perpétuel, une suite de sérénades non interrompues ; les oreilles parisiennes n’ont pas un instant de repos. Dès le matin, les orgues de Barbarie se partagent les différents