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LE VICOMTE DE LAUNAY.

saison de passage et d’ennui, de vagues désirs et de vains regrets ! Femme qu’on chérit encore et qu’on n’aime plus, tu n’auras jamais nos hommages ; tout rêveur est poëte, et nous sommes poëte par l’oisiveté ; et nous maudissons ta venue. Ne cherche pas à séduire le poëte avec tes grands airs de mélancolie ; s’il est sincère, il n’aura pas de chants pour toi, son luth se détendrait sur tes autels humides ; contente-toi de joindre à tes classiques attributs la palette du peintre et le fusil-Robert du chasseur.

Si nous sommes parfois déconcerté dans nos prédictions, nous sommes en revanche très-bien compris dans nos reproches, ce qui nous rend très-fier. Il est glorieux d’avoir de l’influence, même en riant, même lorsqu’on n’y prétend pas. Depuis que nous avons dénoncé la négligence des employés du chemin de fer, ils sont d’une exactitude exemplaire. Chez nous, pour bien agir, on a besoin de se savoir regardé : du jour où l’on se pique de bien faire son métier, on le fait bien ; l’important est de faire arriver le devoir à l’état de prétention. Alors vous pouvez être tranquille, on n’y manquera plus. Naguère le départ était en retard de trois quarts d’heure ; aujourd’hui on doit partir à midi, à midi précis on s’embarque, et huit cents personnes se placent en même temps dans les wagons, ce qui est prodigieux ; pourquoi ? parce que maintenant les employés comprennent l’importance de leur besogne, parce qu’ils se sont dit, comme les députés à la tribune : « Messieurs, la France entière nous contemple ! » et cela est vrai, car le chemin de fer est la grande pensée du moment. Il occupe tous les esprits, il éveille toutes les curiosités. Quelqu’un disait hier que depuis l’arrivée de la girafe rien n’avait fait tant de sensation à Paris. Pauvre girafe ! que de gens ont prédit sa mort ! On disait qu’elle ne s’acclimaterait jamais en France, comme on dit encore que les chemins de fer ne prendront jamais chez nous ; parce que nous, qui sommes un peuple léger, nous sommes malveillants pour ce qui est nouveau ; nous sommes curieux, mais nous restons incrédules. On disait aussi, le jour de son élévation, que l’obélisque tomberait et se briserait en morceaux ; et pourtant l’obélisque est debout sur sa hase, la girafe est en vie au jardin des Plantes, et,