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LE VICOMTE DE LAUNAY.

est un signal d’effroi. Ah ! reprends-le, cruelle, ce fatal flambeau ! ou bien fais-le servir à nous défendre ; qu’il brille sur notre pensée, et qu’il la rende lumineuse ; qu’il fasse comprendre à ceux que nous affligeons que c’est ta force qui nous entraîne, que nulle malveillance, que nulle misérable envie ne nous guide, que nous ne marchons qu’à ta voix, que toi seule es responsable de nos paroles, que tous nos arrêts viennent de toi. Nous t’implorons, ô déesse loyale ! fais briller sur nous la lumière, et que la lumière nous justifie !

Mais le moyen d’être compris lorsqu’on parle au nom de la vérité ? Si nous faisons l’éloge de quelqu’un : — Ah ! nous dit-on, monsieur un tel est donc votre ami ? — Non, je ne le connais pas. — Si nous hasardons une critique : — Ah ! dit-on, vous en voulez donc bien à cette personne-là ? — Moi ! au contraire, je lui trouve beaucoup de talent. — Eh bien ! vous avez dit que son dernier ouvrage était mauvais ; pourquoi cela ? — Parce que j’ai trouvé que son dernier ouvrage était mauvais. — D’autres personnes disent : — On ne peut vraiment pas compter sur le vicomte de Launay. Tantôt il vous loue, tantôt il vous blâme ; on ne sait jamais s’il est pour vous ou contre vous… — Nous allons vous le dire : il n’est ni pour vous ni contre vous ; il approuve ce qui est bien, il blâme ce qui est mal, sans s’inquiéter du plaisir ou du chagrin que cela peut vous faire. Mais, dans ce pays de camaraderie et de coterie, l’indépendance est un scandale, la justice une monstruosité ; un homme qui n’a pas de préventions a l’air d’un sot qui n’a pas d’opinions. Si vous critiquez une chose, vous n’avez d’excuse que par la malveillance. Si l’on vous connaît quelque raison de haïr la personne que vous blâmez, on vous comprend tout de suite, et elle-même n’a garde de se fâcher ; elle sait que vous êtes placé de manière à voir en mal tout ce qu’elle fait ; elle regarderait même votre admiration comme une marque de mépris qu’elle ne mérite pas ; les violents outrages de la calomnie l’irritent moins que les éloges froids de l’impartialité. On s’écrie depuis des siècles : « Est-il rien de plus révoltant que l’injustice ? « Nous répondrons : « Oui, il y a quelque chose de plus révoltant, c’est la justice ! » Elle indigne tout le monde également : d’abord les ennemis de celui que vous