Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 4.djvu/212

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
206
LE VICOMTE DE LAUNAY.

fois, dans son pays natal et dans la grande cité ; son nom glorieux, écrit par les étoiles sur l’aile des nuages, a couru du sud au nord et du nord au midi ; non loin de nous, la terre, en tremblant, a fait connaître sa pensée : une tour corruptrice cachait la vérité aux électeurs séduits ; pour elle, ils allaient peut-être s’engager ; leur conscience, ébranlée comme elle, allait se perdre pour la sauver… la terre en a frémi ; son sein a palpité, et, d’un battement de son cœur, elle a renversé la tour adulatrice, et l’électeur artiste, un moment égaré, est redevenu libre. Le feu, toujours malin, et même un peu follet, s’est amusé à rendre impossibles les élections de Ploermel ; enfin, l’Océan, le grand Océan lui-même, Neptune n’a pas craint d’opposer son vieux trident au candidat du ministère. Tel jadis immobile il enchaînait au rivage la flotte d’Agamemnon, tel aujourd’hui agité (il y a des poëtes qui, sérieusement, font des comparaisons comme celle-là) il enferme dans une île les électeurs d’Hennebon. C’est Neptune en courroux qui vote sur les flots, et Neptune est un électeur très-influent. Heureux le député qui avait pour lui la grande voix de l’Océan ! Quel suffrage !… Et vous ne trouvez pas que tout cela soit de la poésie ? Mais ce n’est rien encore : trois colléges inspirés ont dépassé en poésie l’air, la terre, l’eau, et le feu ; ils ont choisi pour les représenter la poésie elle-même ; le prince des poëtes, le prophète du bon avenir, l’homme-pensée qui plane au-dessus des haines, qui suit d’un œil calme la lutte des partis, qui vit d’espoir et de croyance ; qui habite sur la montagne seul avec la vérité ; car cette belle vérité, dont nous vous parlions l’autre jour, n’est point recluse au fond d’un puits, comme le prétend la Fable, et c’est une grave erreur de l’antiquité que d’avoir choisi pour une fille des cieux une demeure souterraine ; la vérité habite la montagne : pour voir vrai, il faut regarder d’en haut ; pour juger le monde, il faut se placer au-dessus de lui. Oui, c’est un présage heureux pour l’avenir politique de la France que de voir le plus beau triomphe électoral de l’année obtenu par un homme supérieur qui n’appartient à aucun parti, ou plutôt par le représentant de ce quatrième parti puissant déjà, mais encore sans drapeau, et que nous appellerons provisoirement le parti des paysans, c’est-à-dire les hommes du