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LETTRES PARISIENNES (1837).

quelques-uns des plaisirs de notre journée, et vous comprendrez comment vous nous avez fait un supplice de nos loisirs, comment vos lettres si charmantes, si bienveillantes, si flatteuses, qui, envoyées séparément à vingt auteurs différents, feraient leur orgueil et leur joie, adressées à un seul et même mortel, deviennent pour lui un tourment affreux, car il gémit de regret de ne pouvoir les lire et il se meurt de remords de n’y pouvoir répondre.

Il est neuf heures du matin, le facteur est venu, on nous remet trois lettres ; elles arrivent de province : la première, c’est un long article qu’on nous prie de faire insérer dans la Presse, après l’avoir lu attentivement ; la seconde contient des vers sur l’expédition de Constantine : nous avons déjà reçu vingt-sept odes sur le même sujet ! La troisième lettre est une permission que l’on nous demande : on désire nous soumettre un roman en deux volumes. On nous prie de vouloir bien envoyer chercher le manuscrit, rue de…, no … — Jusqu’à présent, tout cela n’est rien encore. Patience ! On nous apporte à déjeuner : sur le plateau, auprès de la théière, une énorme lettre se montre menaçante, et cependant honteuse ; elle est épaisse comme une pelote. Quatre lettres à jeun, c’est beaucoup. Celle-ci est de huit pages, écriture fine et serrée. Huit pages ! qui peut donc nous écrire huit pages, et sur quel sujet si fécond a-t-on pu trouver tant d’idées ? Nous déchiffrons les premières lignes, puis nous parcourons le reste rapidement : le sujet de ce morceau d’éloquence n’est rien autre qu’une suite d’observations sur les romans de M. Francis Wey. « Ce jeune homme a beaucoup de talent, nous écrit-on pendant huit pages, mais il a besoin d’être surveillé. » Or, comme nous n’avons pas mission de surveiller M. Francis Wey, nous n’achevons pas cette intéressante lecture, nous posons la lettre sur la table et nous déjeunons. À peine avons-nous versé quelques gouttes de thé dans une ravissante tasse de Chine, que nous entendons frapper doucement à la porte. Qui est là ? C’est un commissionnaire qui veut ne remettre qu’à nous-même une lettre et une petite boîte. Une lettre, une petite boîte, un commissionnaire discret… Cela fait rêver. Nous ouvrons la lettre avec empressement ; elle commence ainsi :