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LETTRES PARISIENNES (1837).

nerfs : c’est une manière ingénieuse de vous dire que son mari l’ennuie et qu’il la tourmente toute la journée ; cette autre est menacée d’une maladie de langueur, elle se fait ordonner des distractions. Celui-ci a des prétentions à toutes les sciences, il vous explique ses douleurs avec les mots de l’art, il se sert de plaintes techniques pour vous conter ce qu’il éprouve ; ses gémissements sont érudits et pédants, ils font valoir son éducation : « Oh ! l’épigastre ! s’écrie-t-il, oh ! les bronches ! oh ! le péritoine ! » Quelquefois il se trompe, il a un rhumatisme dans le bras et s’écrie : « Oh ! le tibia, le maudit tibia ! » Il en est d’autres, enfin, qui n’avouent jamais que des souffrances élégantes, qui cachent toutes souffrances vulgaires qui sont indignes d’eux. Pauvre médecin, comment saura-t-il la vérité ! il lui faut étudier non-seulement le mal du patient, mais aussi le caractère de l’individu ; car souvent, pour le guérir d’une maladie, il faut commencer par le corriger d’une manie.

La grande solennité de la semaine a été l’enterrement du général Damrémont. Nous étions placé derrière le catafalque : devant nous étaient le général Baraguey d’Hilliers, les enfants du général Foy et le fils du général Damrémont. La profonde douleur de ce jeune homme était touchante ; les enfants du général Foy attiraient tous les regards, et chacun, se rappelant le bel enterrement du célèbre orateur, se disait que les morts étaient glorieuses dans cette famille : voilà deux nobles veuves dont les larmes ont du moins la consolation de l’orgueil. Auprès de nous il y avait une femme qui, malgré son amer désenchantement de toute gloire et de toute poésie, ne pouvait contempler sans émotion les enfants du général Foy ; cette femme, ils ne la connaissent pas, et pourtant si le recueillement qu’exigeait une si triste cérémonie leur avait permis de tourner la tête, sans doute son aspect les aurait frappés, et l’un d’eux aurait pu se dire : « Quelle est cette personne ? elle ne m’est pas étrangère ; j’ai vu cette figure-là quelque part : où donc ? — Sur le tombeau de votre père ; son portrait et ses vers y sont encore. »