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LETTRES PARISIENNES (1837).

lisez, par exemple, le chapitre des esclaves lettrés, le chapitre sur les femmes romaines, et vous verrez que ce livre, bien qu’il soit instructif et fait avec une grande conscience, est aussi amusant que tous les romans numérotés que vous fournit votre libraire ou plutôt votre cabinet de lecture ; car vous aussi, madame, vous avez recours aux cabinets de lecture. — Ne m’en parlez pas, je ne puis m’empêcher de rire de ma colère ; voilà deux mois que je demande le second volume de Mauprat ! Hier, j’ai enfin obtenu cette réponse : « Le second volume de Mauprat n’est pas encore rentré ; il est chez une dame qui lit très-lentement ! » En effet, deux mois ! Il me semble que, même en épelant mot à mot, j’aurais déjà fini. — Ah ! pauvre littérature, ce sont là tes beaux jours !

Une femme élégante et riche, une femme d’esprit, attend patiemment deux mois pour lire un roman de George Sand, et l’idée ne lui vient pas de l’acheter ; et dans son élégante demeure vous trouverez toutes les splendeurs imaginables, tenture de lampas, rideaux à franges ruineuses, meubles royaux, fantaisies de toute espèce, vases de toute magnificence, tables d’un prix fabuleux, incommodes, offensives, mais admirables, joyaux, colifichets, porcelaines chinoises, toutes les plus ravissantes inutilités, tous les luxes imaginables, excepté celui de l’esprit. Voyez ce beau salon d’étude, ce boudoir charmant ; admirez-le dans ses détails, vous y trouverez tout ce qui peut séduire, tout ce que vous pouvez désirer, excepté deux choses pourtant : un beau livre et un joli tableau. Il n’y a peut-être pas dix femmes à Paris chez lesquelles ces deux raretés puissent être admirées, et encore ne leur est-il permis de se passer cette fantaisie d’artiste que parce que depuis longtemps elles ont pourvu au plus pressé ; et en fait de vieux chinois et de vieux Sèvres, depuis longtemps elles n’ont plus rien à envier. Cependant il est une justice à rendre à nos jeunes élégantes, elles n’ont point de livres, c’est vrai, mais elles ont de superbes bibliothèques, des armoires de Boule d’un grand prix, auxquelles on a laissé, par respect, le nom menteur de bibliothèque. Mais ne craignez pas que ces belles armoires restent inutiles ; non certes, on leur donne un très-noble emploi ; voyez dans celle-ci : les chapeaux, les bonnets et les turbans