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LETTRES PARISIENNES (1837).

dont on puisse dire cette phrase consacrée : Elle n’a paru sur aucun théâtre.

Toutefois, nous comprenons l’empressement de nos célèbres actrices à venir voir comme on joue la tragédie au Théâtre-Français. Personne mieux qu’elles ne pouvait se divertir de la soirée de l’autre jour : mademoiselle Georges a dû bien s’amuser du jeu fantastique de mademoiselle Noblet ; et madame Dorval, si charmante dans Chatterton, si gracieuse dans Beatrix Cenci, qu’elle a dû rire de bon cœur en regardant mademoiselle Ida ! Comment prend-on la profession d’ingénue avec une taille semblable ? Dans les rôles de mademoiselle Georges, trop d’embonpoint est pardonnable ; une extrême maigreur serait même un ridicule pour cet emploi. Mademoiselle Georges est toujours une femme imposante ; noble, fière ou terrible, c’est toujours une reine et une mère : ce n’est jamais une amante langoureuse. Quand elle éprouve de l’amour, c’est encore pour un de ses fils ; ses passions sont toutes plus ou moins maternelles. Mademoiselle Georges ne se permet d’aimer d’amour que ses enfants. Dans Sémiramis, elle veut épouser son fils ; dans Œdipe, elle a déjà épousé son fils ; dans Lucrèce Borgia, elle aime son fils ; dans la Tour de Nesle, elle aime ses deux fils. Ce n’est pas crime de sa part, c’est seulement une manière spirituelle de dire : « Je ne cache pas mon âge. » Mademoiselle Georges est, de plus, grande et belle et toujours belle : son embonpoint ajoute peut-être même à la majesté de ses rôles. Mais l’embonpoint de mademoiselle Ida, jeune fille rêveuse et sentimentale, toujours vêtue de blanc, vierge timide au pied léger, fuyant un infâme ravisseur, ange et sylphide dont on cherche les ailes, l’embonpoint de mademoiselle Ida est risible et révoltant. Il faudrait au moins être transportable quand on se destine à être enlevée tous les soirs.

Ce qu’il y a de plus étrange à la Comédie française, c’est la manière dont on dit les vers : on n’entend pas un mot. Ligier, Beauvallet et Firmin sont les seuls qui sachent prononcer le français ; le reste est quelque chose d’inimaginable. Là, chacun a un langage qu’il faut étudier. Madame Paradol supprime toutes les consonnes. Dans ses imprécations contre les dieux qui l’ont trahie, elle doit s’écrier : « Vous êtes de